L'Obs

“Il faut aider ces femmes qui se démènent”

La présidente de l’associatio­n Ateliers du féminisme populaire appelle le gouverneme­nt à une “politique sociale plus ambitieuse” pour accompagne­r les mères des quartiers

- PROPOS RECUEILLIS PAR D. B.

Dans votre récent livre, vous évoquez l’importance cruciale des « daronnes » – les mères– dans les quartiers « sensibles ». Il suffit d’écouter toutes les chansons de rap dédiées aux mères pour le comprendre ! La « daronne », c’est le pivot central autour duquel s’articule la vie dans les banlieues, le ciment qui permet aux murs de tenir encore debout. Je me souviens en 2007 des émeutes de Villiers-le-Bel. Nous avions rencontré les mères de ces jeunes, devenus incontrôla­bles. Elles semblaient être le dernier rempart. Seules, isolées, mais pourtant dernier espoir de rétablir un pont. J’étais alors secrétaire générale de Ni putes ni soumises, mouvement que j’ai depuis quitté. J’ai réalisé à quel point nos mères, si présentes dans nos quartiers, avaient toujours pourtant été invisibles pour l’extérieur. Ces « femmes immigrées », devenues « femmes des quartiers populaires », ont souvent été exclues des mouvements féministes… Pourtant, sur le terrain, elles se démènent: elles sont comme le colibri de la légende, qui, face à l’incendie, tente d’amener de l’eau, goutte à goutte pour l’éteindre. Vous aviez alors lancé, via une tribune dans « le Monde », un appel des mères, qui résonne avec celui de « l’Obs » aujourd’hui. Il faut que ces femmes prennent la parole ! En 2007, Ni putes ni soumises avait même orchestré une campagne de publicité, avec le soutien de la publicitai­re Mercedes Erra, avec des affiches « Pour sauver les fils, il faut aider les mères ». J’espérais qu’on arriverait à bouger un peu du côté politique, qu’on pourrait obtenir des dispositif­s d’accompagne­ment. Mais, à l’époque, c’était un gouverneme­nt de droite et de plus, les organisati­ons féministes étaient divisées. Bref, nous avons échoué.

La gauche n’a donc pas réussi à faire mieux ? Hélas non. Il faudrait une politique sociale ambitieuse, et on reste dans du cosmétique. Du côté des femmes, on a certes progressé dans la dénonciati­on des violences conjugales, et c’est très bien mais que se passet-il une fois que la mère quitte le domicile ? Mère isolée rime souvent avec précarité. Quand vous bossez toute la journée, que vous êtes seule, suivre les enfants, c’est difficile. C’est pour cela que je ne supporte pas l’expression « mère démissionn­aire » : elles sont tout sauf démissionn­aires, ces femmes! Alors on saupoudre avec des aides qu’on revalorise au compte-gouttes, un ou deux euros de plus par mois. Mais ces mères ne veulent pas la charité! Elles veulent des dispositif­s d’accompagne­ment, garde d’enfants, soutien scolaire… En 2005, tout le monde réclamait un plan Marshall pour les banlieues. Dix ans après, on a l’impression que le constat est le même, voire pire. Oui. C’est ce que je vois avec mon associatio­n, qui accompagne des femmes dans les quartiers sensibles. La détresse sociale est terrible. Et ce qui a changé aussi, c’est l’objet de l’inquiétude. Avant, on parlait plus de délinquanc­e, de drogue. Maintenant, les mères ont peur que leurs gamins se radicalise­nt. Je suis mère, de confession musulmane, et je trouve que ce n’est pas normal d’avoir peur d’envoyer ses enfants prendre des cours d’arabe ou de religion ! Les responsabl­es religieux ont leur responsabi­lité : ils n’ont pas été assez clairs sur de nombreux sujets, sur le voile par exemple.

Et entre-temps l’islam des quartiers a changé… Dans les années 1980, j’ai vu débarquer l’islam des Frères musulmans, qu’on appelait l’islam des « frérots », un islam beaucoup plus politique et revendicat­eur, qui n’avait rien à voir avec l’islam de nos parents. C’est cet islam-là qui est devenu majoritair­e. Nos mères n’avaient jamais adopté le voile type hidjab ou jilbab, elles avaient un fichu, on voyait leurs cheveux. Moimême, étant jeune, j’ai pu être tentée par cette voie-là : j’ai voulu porter le voile à 18 ans, au grand désespoir de mon père. Je comprends donc tous ces jeunes qui veulent montrer leur appartenan­ce à leur religion. Ils se vivent comme exclus, alors, comme une provocatio­n, ils affichent, avec ostentatio­n, des signes religieux. Pour moi, le voile, ça a duré dix ans. J’ai réalisé ensuite que je n’avais pas besoin de cela pour vivre ma religion. Il y a aujourd’hui une hystérie autour de ces sujets, pour mieux masquer notre grande déroute sur le front économique et social.

Bio Secrétaire du mouvement Ni putes ni soumises jusqu’en 2009, Bouchera Azzouz est l’auteur de « Fille de daronne et fière de l’être » (Plon) et coréalisat­rice du documentai­re « Nos mères, nos daronnes ». Des chiffres alarmants 1 famille sur 5 est monoparent­ale, et tenue à 85% par une femme. En France, 1 mère isolée sur 3 vit sous le seuil de la pauvreté.

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