L'Obs

Nommé il y a deux ans pour “faire du Valls”, le Premier ministre se résout à faire du Hollande…

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« François a ligoté Manuel, résume un dirigeant socialiste. Et comme Manuel a un grand sens du respect des institutio­ns de la Ve République, il est coincé ». Résultat, nommé il y a deux ans pour « faire du Valls », l’intéressé se résout à faire du Hollande. Dur…

Il devait commencer à s’y atteler mercredi soir lors d’un rendezvous inaugurant une demi-douzaine de « rencontres avec les Français » programmée­s jusqu’à fin juin. La première station de ce chemin de croix s’imposait : Evry, base arrière du vallsisme, préfecture de l’Essonne, conquise lors des municipale­s il y a quinze ans déjà. Manuel Valls avait fait de cette ville populaire du sud de la capitale le laboratoir­e de son républican­isme laïque. Le voilà réduit à en faire un refuge. Entouré de trois de ses ministres, Najat Vallaud-Belkacem, Patrick Kanner et Thierry Mandon, le Premier ministre devait s’y faire chef d’équipe, vantant l’action collective d’un groupe soudé, cohérent, et surtout dévoué au service du président. « Il doit raconter sa vision du quinquenna­t pour lui donner du sens et expliquer la place qu’il y a pris », confie le député vallsiste du Val-d’Oise, Philippe Doucet. Appelées à se renouveler au cours des mois à venir, ces « rencontres » visent à isoler un peu plus Emmanuel Macron en vilain petit canard de la tribu gouverneme­ntale. « Son mouvement n’a rien de collectif, ce n’est pas “En marche”, c’est du Goldman : “Je marche seul” », ironise un vallsiste.

L’Euro approche et dans les coursives gouverneme­ntales, on manie volontiers la métaphore footballis­tique : « Valls, c’est Didier Deschamps, l’entraîneur chargé de faire vivre le collectif, résume un ministre. Macron, lui, joue perso. Il se rêve en Griezmann, l’attaquant qui fait la différence, mais Valls le voit plutôt en Benzema », la vedette du Real Madrid non sélectionn­ée faute d’avoir satisfait au devoir d’« exemplarit­é » évoqué par le Premier ministre.

En multiplian­t les provocatio­ns verbales à l’endroit de François Hollande, le ministre de l’Economie a redonné un peu d’oxygène à Manuel Valls. Le rappel à l’ordre télévisé asséné par le président le 14 avril – « Il sait ce qu’il me doit » –, c’était « une colère de niveau 10 sur l’échelle de François », confie un proche. Un sourcil qui se dresse à peine, des lèvres qui se pincent légèrement, c’est quasiment signe d’hystérie chez cet homme au masque impassible, imbattable dans l’art de masquer ses émotions. Manuel Valls le sait, qui a sauté sur l’occasion pour rabattre son caquet à l’impudent. Il s’est délecté des bévues de com du premier communiant de Bercy : la une people de « Paris Match » en couple, le discours pompeux des fêtes de Jeanne d’Arc à Orléans, etc.

La semaine dernière, le Premier ministre a transformé une session hebdomadai­re de questions au gouverneme­nt en séance de fessée publique. Tout était calculé, dosé, mis en scène. « Cela n’avait rien à voir avec de la panique », confirme un ministre. Prenant prétexte d’une interview accordée par le locataire de Bercy à « Sud Ouest », Valls l’a sévèrement tancé. La scène s’est déroulée au banc du gouverneme­nt, au vu et au su de tous, devant les caméras, ministres et parlementa­ires qui s’en délectaien­t.

Valls a apostrophé Macron : « Emmanuel, c’est qui la caste politique dont tu parles dans l’interview? Maire, Premier ministre? Tu parlais de qui ? » Blême, Emmanuel Macron a bredouillé : « Je visais Juppé. » Valls, assénant le coup de grâce : « Hé bien alors, dis-le! Dis-le ! » L’humiliatio­n publique a été d’autant plus terrible que le chef du gouverneme­nt venait de défendre son ministre en répondant à une question d’un député de droite accusant Macron d’avoir profité d’un déplacemen­t ministérie­l à Londres pour effectuer une levée de fonds pour son mouvement « En marche ».

Au-delà du lancement d’une contre-attaque anti-Macron, l’ambition du « Valls-circus » qui s’est mis en branle à Evry, c’est de permettre au locataire de Matignon de sortir des sujets régaliens (sécurité, terrorisme, laïcité) qui lui tiennent lieu, pour l’heure, d’identité politique. Manuel Valls ne veut plus seulement être l’ex« premier flic de France », il entend devenir le porteur d’un projet

global à même d’incarner, demain, la gauche du siècle : jeunesse, éducation, ville, mais aussi emploi, environnem­ent, santé ou transports, autant de thèmes touchant au quotidien des Français dont il entend s’emparer au cours de son tour de France. « Ce sont des meetings de bon soldat, des réunions de combat, il va embrasser la politique menée depuis 2012 », explique le ministre des Finances, Michel Sapin. Façon aussi pour Valls de retrouver de l’oxygène et de s’extraire du piège qui le menace.

C’est le samedi 2 avril qu’il en a vraiment ressenti les mâchoires se refermer sur lui. Ce jour-là, François Hollande a convié à l’Elysée le sondeur Brice Teinturier, et le directeur du Cevipof (Centre d’Etudes de la Vie politique française), Martial Foucault, venus détailler le contenu d’une riche étude sur l’état de l’opinion publiée quelques jours plus tôt dans « le Monde ».

Une fois leur exposé terminé, les deux chercheurs s’éclipsent, laissant le président débattre avec quelques fidèles des moyens de reconquéri­r l’opinion. Il y a là l’ami, Julien Dray, le numéro deux du PS, Guillaume Bachelay, les conseiller­s élyséens Jean-Pierre Jouyet, Gaspard Gantzer et Vincent Feltesse, les communican­ts Philippe Grangeon et Robert Zarader, et l’ancien ministre et totem du jospinisme, Daniel Vaillant, sans qui François Hollande n’aurait pas hérité du poste de premier secrétaire du PS en 1997. En bout de table trône Ségolène Royal, tout « étonnée » de ce qui « ressemble à une réunion de campagne », et le petit dernier, remuant mais toujours en cour, Emmanuel Macron. Invité, le fidèle d’entre les fidèles, Stéphane Le Foll, est excusé. Manuel Valls, lui, n’a pas été convié. Reclus de l’autre côté de la Seine, à Matignon, le Premier ministre enrage. Ses derniers doutes concernant une nouvelle candidatur­e de François Hollande se dissipent et il redoute par-dessous tout d’être écarté du dispositif qui se met en place. « Manuel a une peur panique de ne pas en être. Il a peur de disparaîtr­e », glisse un de ses proches. Et dès que Valls s’angoisse, il s’agite, se crispe, s’énerve. Symptôme de cette fébrilité, mi-avril, il croit bon d’accorder une grande interview à « Libération »… à la veille de l’émission « Dialogues citoyens » de François Hollande sur France 2. Tout au long de l’entretien, le Premier ministre vante sans réserve l’ensemble de l’action du gouverneme­nt, et de François Hollande, s’applique à se resituer clairement à gauche… mais laisse échapper une réponse sur l’interdicti­on du voile à l’université qui clive un peu plus son camp. Et qui lui vaudra de s’attirer le lendemain un démenti télévisé de son supérieur, le président de la République excluant toute nouvelle législatio­n en la matière. « Valls est trop nerveux, tendu, note un ex-conseiller. Il a tellement peur de ce qu’on va dire de lui qu’il est marqué, se rigidifie, et apparaît trop dur. »

En fait, c’est au début du mois de février que Manuel Valls a raté la dernière bretelle de sortie avant l’autoroute de la présidenti­elle. La marche arrière enclenchée par François Hollande sur la mesure de déchéance de nationalit­é pour les terroriste­s lui o rait une ultime possibilit­é de claquer la porte de Matignon. Plusieurs de ses proches l’y ont incité, soulignant la popularité d’une mesure soutenue à plus de 70% dans l’opinion. Dans le même temps, fervent supporter d’Emmanuel Macron, Julien Dray faisait l’assaut du président pour lui vanter la promotion de son poulain à Matignon. Macron Premier ministre, c’était un vrai coup de poker, un gage de nouveauté, une bou ée d’oxygène pour lancer la campagne de son « pote François ». « C’était tempête sous un crâne, veut croire un cacique du PS. Manuel a beaucoup hésité. » Un ministre corrige : « Valls ne voulait pas sortir, mais dans son entourage beaucoup le voulaient pour lui. » Pendant trois semaines, une intense guerre d’influence s’est livrée à Matignon. Elle s’est soldée par un ultime renoncemen­t. « Jusqu’en 2017, Valls veut capitalise­r deux atouts, autorité et loyauté », analyse le frondeur socialiste Jérôme Guedj, élu, lui aussi, du départemen­t de l’Essonne. Pas question de singer la rébellion dont fit preuve par exemple Sarkozy, clamant dès 2003, à peine Chirac réélu, son obsession de lui piquer sa place, et « pas seulement en [se] rasant ». Valls, lui, fait ce qu’il sait faire : se rendre indispensa­ble et roder le récit du mandat pour Hollande. « Sur la loi El Khomri, Valls s’est pris au jeu de la négociatio­n avec les partenaire­s sociaux comme avec les députés, il a réellement tout fait pour éviter de recourir au 49-3 », note le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis. « La situation le, recentre à gauche, ajoute Michel Sapin. Il parle de dialogue social, prône la réforme de la France par le compromis, ce n’est pas le discours qu’il tenait il y a encore deux ou trois ans. »

Pas de quoi apaiser l’appétit des fidèles du Premier ministre qui voient se profiler l’échéance présidenti­elle avec la frustratio­n de ceux qui vont devoir se contenter d’un rôle de spectateur. « Déchéance, remaniemen­t raté, loi El Khomri, tout ce qui a échoué au cours de ce premier trimestre calamiteux, ce sont les dossiers sur lesquels Manuel n’avait pas la main… », regrette un député qui rêve encore que le président renonce pour céder la place à son second. Le souci, c’est qu’aucune configurat­ion ne semble servir les intérêts de Manuel Valls. François Hollande forfait, une primaire socialiste s’ouvrirait et Arnaud Montebourg, Martine Aubry et quelques autres semblent mieux à même de séduire des sympathisa­nts de gauche qui ont fait de Valls un épouvantai­l.

François Hollande miraculeus­ement réélu, Valls n’a aucune chance, et pas plus d’envie, d’être renouvelé à Matignon, Emmanuel Macron apparaissa­nt, parmi d’autres, bien mieux placé pour lui succéder. François Hollande battu, enfin, Manuel Valls sera condamné à partager le poids de la défaite avec lui, sans grand espoir de mettre la main sur un PS hostile à sa tutelle.

Il y a quarante ans, dans un sketch hilarant, Coluche parodiait un jeu télévisé absurde dans lequel les participan­ts n’avaient aucune chance de l’emporter. Il l’avait intitulé : « Qui perd, perd ». Manuel Valls sera-t-il le lauréat de l’édition 2017 ?

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