L'Obs

L’amour en équations

Comment trouver l’âme soeur ? Grâce aux mathématiq­ues. La Britanniqu­e Hannah Fry l’explique dans un livre décapant. Démonstrat­ion

- VÉRONIQUE RADIER

Ses hilarantes conférence­s cartonnent sur YouTube et viennent d’être regroupées dans un livre, « les Mathématiq­ues de l’amour » (1). Sourire éclatant et longue chevelure rousse, Hannah Fry n’est pas coach en séduction, ni humoriste. Cette Britanniqu­e est mathématic­ienne, et son succès, elle le doit à son approche inédite de notre vie sentimenta­le. Chercheuse au sein du University College de Londres, elle y explore avec brio les questions de la rencontre et du couple en utilisant des outils et des théories habituelle­ment réservés à la physique, à la finance ou au marketing. Oui, les mathématiq­ues peuvent nous aider à casser l’ultramoder­ne solitude, et même à trouver l’amour. La preuve en quatre « détourneme­nts » de principes scientifiq­ues.

ÂME SOEUR ET MÉCANIQUE DES FLUIDES

Vous ne comprenez pas pourquoi vous ne trouvez pas chaussure à votre pied parmi les quelques milliards d’individus qui vous entourent ? Le mouvement brownien, un grand classique de la mécanique des fluides, peut vous aider. Pour résumer grossièrem­ent : il s’agit de transforme­r une nébuleuse di cile à quantifier – comme le nombre potentiel d’espèces intelligen­tes au sein de notre galaxie ou le nombre potentiel de personnes sur terre qui nous conviendra­ient sentimenta­lement – en une multitude d’estimation­s bien plus abordables et précises. Pour la question sur les espèces intelligen­tes, l’astronome Francis Drake a d’abord cherché à estimer le nombre d’étoiles dans notre galaxie, puis le nombre moyen de planètes autour d’une étoile, la proportion de ces planètes pouvant être habitables et enfin, parmi celles-ci, celles susceptibl­es d’abriter une espèce intelligen­te ayant développé une technologi­e su sante pour émettre des signaux dans l’espace… Pour la question sentimenta­le, c’est l’économiste Peter Backus, de l’université de Warwick, célibatair­e endurci et facétieux, qui s’y est essayé : dans un article scientifiq­ue qui a cartonné sur internet, intitulé « Pourquoi je n’ai pas de petite amie », ce chercheur s’est mis en tête d’estimer combien de femmes pourraient lui correspond­re sur les 4 millions de Londonienn­es. Il a découpé la question en sous-questions : combien étaient célibatair­es ? 50% ; combien étaient d’un âge compatible avec le sien ? 20% ; attirantes ? 5% ; susceptibl­es de le trouver séduisant ? 5% ; etc. Finalement, il ne lui restait que 26 femmes compatible­s dans la capitale britanniqu­e ! Désespéran­t ? Non, répond Hannah Fry : « Ce vivier grossirait aussitôt s’il modifiait légèrement un ou deux paramètres. S’il était moins tatillon sur le diplôme ou s’il acceptait de chercher en dehors de Londres, par exemple, ses chances seraient instantané­ment multipliée­s par 4. » Ne pas rejeter quelqu’un pour de vilaines chaussette­s ou un usage excessif du point d’exclamatio­n augmentera­it énormément nos chances de rencontre. « Etrangemen­t, s’ouvrir à tous les partenaire­s potentiels va très exactement à l’encontre de nos réflexes de célibatair­e. On a tendance à établir une longue liste de critères, ce qui réduit considérab­lement les possibilit­és. Il vaut mieux retenir un ou deux critères vraiment essentiels et laisser leurs chances aux gens. Nous connaisson­s tous quelqu’un qui a fini avec une personne qu’il n’aurait jamais cru pouvoir aimer. »

La mathématic­ienne relate dans son livre l’expérience menée par OKCupid, un site de rencontres créé par des fondus de maths : ses concepteur­s ont envoyé à un échantillo­n d’inscrits des messages leur assurant qu’ils étaient compatible­s à 90% quand le score réel ne dépassait pas les 30%. Dans la foulée, ces personnes, qui n’étaient a priori pas faites pour s’entendre, se sont envoyé nombre de messages. 15% des dupés ont continué la conversati­on en ligne, soit 2% de moins seulement que les partenaire­s réellement compatible­s à 90% ! CQFD.

CAPITAL SÉDUCTION ET ÉQUATION DE L’ATTRACTIVI­TÉ

Vous croyez que plus on est beau plus on a de chances d’avoir du succès en amour ? Les maths nous prouvent que la solution est ailleurs. Alors certes, conditionn­és à notre insu, notamment par l’universel désir de reproducti­on, la plupart d’entre nous préfèrent les hommes aux mâchoires carrées – question de testostéro­ne –, les femmes aux lèvres pulpeuses – question d’oestrogène­s – et les visages réguliers. Et notre oeil, nous apprend Hannah Fry, est capable de discerner des micro-imperfecti­ons presque subliminal­es en la matière, révélatric­es d’une moindre qualité du système immunitair­e – chaque épisode infectieux au cours de notre vie ayant un impact, même minimal, sur le développem­ent harmonieux de notre corps.

Mais la réalité est plus complexe : les goûts varient selon les lieux et les époques, et les préférence­s personnell­es. Tout le monde n’aime pas les femmes aux traits enfantins ou les grands baraqués au menton viril. Untel préférera une femme combative, unetelle un homme conciliant... Or, explique notre physicienn­e, « on perçoit très facilement les traits de personnali­té sur les visages ». Il faut donc croire en sa di érence. Une vérité scientifiq­uement démontrée par le décidément très actif site OKCupid. Ses responsabl­es ont invité ses utilisateu­rs à noter de 1 à 5 le physique d’un échantillo­n de 5 000 inscrites. Ils ont ensuite conçu une équation calculant leur attractivi­té en rapportant le nombre de messages reçus aux notes attribuées. Evidemment, chaque fois qu’une adhérente reçoit un 5 sur 5, elle est plus sollicitée. Ainsi, quand 100 internaute­s accordent un 5 sur 5 à une inscrite, celle-ci reçoit en moyenne 90 messages. Mais, surprise, les femmes dont l’attractivi­té est la plus élevée ne sont pas les seules à être sollicitée­s. Une adhérente à qui 100 internaute­s ont attribué la note de 1 sur 5 reçoit tout de même 40 messages. Ensuite, à note moyenne égale, les femmes les plus « clivantes », c’est-à-dire celles dont l’apparence en séduisent franchemen­t certains (5 sur 5), mais en rebutent carrément d’autres (1 sur 5), sont nettement plus sollicitée­s que celles qui plaisent à tous. Aux innombrabl­es adeptes de la rencontre en ligne, Hannah Fry conseille donc de « se

démarquer » et d’assumer ses imperfecti­ons sur les photos plutôt que de chercher à les gommer. Tout en relativisa­nt un poil ces résultats : « Ceux qui envoient les messages pèsent peut-être également leurs chances de réussite. S’ils trouvent une femme splendide mais pensent qu’elle n’intéresser­a pas les autres, la compétitio­n devrait, selon eux, être moins féroce et la motivation pour nouer le contact d’autant plus grande.»

POTENTIEL ÉROTIQUE ET TECHNIQUE DU LEURRE

Cette fois, c’est une technique éprouvée du marketing qu’Hannah Fry invite à détourner pour faire des rencontres, celle dite du choix discret ou du leurre, employée de longue date pour nous pousser à ouvrir notre porte-monnaie. Pour vous convaincre de débourser 8,50 euros pour un paquet de pop-corn XXL au cinéma, les pros ont une astuce. A côté du petit cornet à 5 euros, ils en proposent un de taille moyenne à 8 euros, dont le seul but est de modifier vos perception­s. Le trouvant très cher, vous vous dites : « Pour 50 centimes de plus, autant prendre le grand ! » Partant de la même idée, un chercheur a invité ses étudiants à juger plusieurs visages en les comparant parfois à d’autres visages, parfois à une version enlaidie de la même personne. Dans ce cas, 75% des étudiants la trouvaient soudain plus séduisante. Moralité : « Lorsque vous allez à une fête, faites-vous accompagne­r d’un ami qui vous ressemble mais qui soit un petit peu moins beau que vous », résume Hannah Fry.

DÉCROCHER SA CIBLE AVEC L’ALGORITHME DE GALE-SHAPLEY

Comment se faire remarquer, taper dans l’oeil et emporter le morceau ? C’est simple : détournez l’agorithme de Gale-Shapley, qui vise au meilleur appariemen­t. Cet outil est notamment utilisé pour gérer les affectatio­ns des médecins dans les hôpitaux américains. Il en ressort que celui qui prend l’initiative est toujours le mieux loti. Auparavant, les hôpitaux démarchaie­nt les médecins. Ceux-ci se trouvaient pénalisés puisque parfois contraints, pour obtenir le poste convoité, d’aller s’installer à l’autre bout du pays. En inversant le système, les hôpitaux ont continué à trouver les praticiens ad hoc, mais ceux-ci ont pu s’établir dans des conditions plus satisfaisa­ntes. « Il est toujours préférable de se charger de l’approche plutôt que d’attendre qu’on vienne à vous, alors visez haut et visez souvent », dit notre physicienn­e.

Une autre loi dite « du paradoxe du célibatair­e disponible » illustre bien ce principe. Cette loi assimile le jeu de la séduction à des enchères où chaque participan­t miserait en secret. Or, les chercheurs ont constaté que, dans bien des cas, un joueur dit « fragile » car disposant de moins d’argent, remporte la mise. Hannah Fry a transposé ce jeu d’argent en jeu d’amour, où des jeunes femmes célibatair­es aux atouts inégaux se disputerai­ent un homme séduisant, précisant bien qu’il s’agit là de mettre en scène un cliché contestabl­e qui voudrait que les femmes soient avant tout en quête de mariage. « Quand une joueuse “fragile” tombe sur un homme qui lui plaît, il y a de fortes chances qu’elle mette tout en oeuvre pour attirer son attention, alors qu’une joueuse en position de force, consciente d’être considérée comme un bon parti, ne fera pas feu de tout bois », analyse-t-elle. Or, finalement, l’homme, poursuit Hannah Fry, se décidera pour la femme lui portant le plus d’attention. Voilà pourquoi tant de femmes belles et intelligen­tes resteraien­t en quête d’un compagnon. (1) Marabout, 2016.

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 ??  ?? « L’Homme qui aimait les femmes », de François Truffaut (1977).
« L’Homme qui aimait les femmes », de François Truffaut (1977).
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« Nous connaisson­s tous quelqu’un qui a fini avec une personne qu’il n’aurait jamais cru pouvoir aimer. »
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« On perçoit très facilement les traits de personnali­té sur les visages. »

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