L'Obs

SEXE, VIOLENCE & VIDÉO

Exilé à Hollywood, le réalisateu­r néerlandai­s de “Basic Instinct” a tourné, en France, un thriller adapté d’un roman de Philippe Djian, qui va commotionn­er le Festival de Cannes, où il est en compétitio­n. Interview

- PROPOS RECUEILLIS PAR PASCAL MÉRIGEAU PHILIPPE QUAISSE

Michelle (Isabelle Huppert), qui dirige une société de jeux vidéo avec une amie (Anne Consigny) dont le mari est son amant, est violée par un inconnu, chez elle. Assaillie par des pulsions masochiste­s, elle tente de démasquer son agresseur. Le réalisateu­r de « Basic Instinct » a trouvé dans le roman de Philippe Djian « Oh… » la matière d’un thriller hitchcocki­en ultraviole­nt qui met le spectateur en état de choc.

Comment en êtes-vous venu à adapter un livre français ? Saïd Ben Saïd, le producteur, m’a envoyé le livre de Philippe Djian et m’a demandé si j’étais intéressé. Je l’ai lu en français et j’ai répondu assez vite que je voulais le réaliser : c’était un peu di érent de ce que j’avais fait auparavant, mais pas tant que ça… Et puis, j’ai su samment étudié le cinéma de Hitchcock pour savoir comment je devais m’y prendre. Je n’avais jamais eu a aire à un contexte social aussi important, à un personnage aussi complexe, entouré à ce point de mystères et de secrets, cerné par autant d’amis et de relations. A mes yeux, c’était innovant et ça représenta­it une forme de défi personnel. Au départ, l’histoire ne devaitelle pas être transposée aux Etats-Unis ? Si, et ça ne me paraissait pas devoir poser de problème. Après tout, « Vertigo » aussi est adapté d’un livre français, « D’entre les morts », de Boileau et Narcejac. Nous pensions à Seattle, à Boston ou à Chicago. J’ai demandé à David Birke d’écrire l’adaptation, et nous avons fait traduire le livre en anglais. Tout devait être américain, à commencer par l’actrice, même si je savais qu’avant même de me contacter la production avait parlé du projet avec Isabelle Huppert. Et puis, nous avons assez vite compris que le projet ne trouverait pas de financemen­t aux Etats-Unis : ce n’est pas ainsi qu’on raconte làbas une histoire de viol, de surcroît avec ses éventuels développem­ents masochiste­s. Tout cela leur posait trop de problèmes. Ce n’est pas une histoire de vengeance, qui est tout ce qui, désormais, intéresse les studios hollywoodi­ens. Au contraire, le livre de Philippe Djian s’oppose absolument à cette vision et évacue tous les clichés qui lui sont attachés. Et je pense aussi que nous aurions eu du mal à convaincre une star de jouer le rôle.

C’est donc Isabelle Huppert… Et heureuseme­nt ! Isabelle est indescript­ible ! Obsédée par la perfection. Moi aussi, mais à ce point… J’ignorais qu’elle s’investissa­it autant dans chaque élément du film, au point de vouloir contrôler le moindre détail, en permanence. Elle donne son opinion sur la lumière, sur tout, et son point de vue est le bon. Alors que tout le monde est satisfait d’une prise, elle vient vous trouver et vous dit qu’il faut la refaire, qu’il est possible de faire mieux. Non, Isabelle… Elle évolue dans les mêmes sphères qu’un Stravinski ou un Picasso. Personne au monde n’aurait pu dire certaines répliques qui exigent de Michelle, son personnage, qu’elle paraisse sincère alors que le spectateur doit comprendre qu’elle ment. Outre Isabelle Huppert, connaissie­z-vous les autres acteurs, Laurent Lafitte, Virginie Efira ou Charles Berling ? Tous étaient pour moi des inconnus, j’étais donc bien obligé de leur faire passer un test, ce que tous ont accepté, avec une immense générosité. Même Judith Magre, qui est actrice depuis près de soixante-dix ans ! Pour moi, ces auditions ont été essentiell­es, elles m’ont permis de constater, en quelques minutes, que mes choix étaient pertinents. Est-ce que tourner en France, avec des acteurs français, était une situation confortabl­e pour vous ? J’étais dans une situation d’insécurité absolue, je ne pouvais me fier à rien d’autre qu’à mon intuition. En réalité, j’avais une trouille bleue : six mois avant de commencer le film, j’ai été pris de maux de tête comme je n’en avais jamais eu… et qui ont disparu au bout d’une semaine de tournage. Nous avons tourné dix semaines, mais la scène du viol nous a pris du temps, c’était extrêmemen­t complexe. Mais jamais je n’ai connu le confort sur un plateau : je hais le tournage, vous êtes en permanence sous l’eau, soumis de toutes parts à une pression infernale. Spielberg m’a écrit qu’aujourd’hui il voyait le plateau comme un sanctuaire, au sens religieux. Moi, je ne vois rien de religieux dans un tournage ! En revanche, j’adore le montage, c’est là que vous pouvez vous amuser, surtout si vous avez tourné avec Isabelle. C’est là que tout se met en place, et que les e ets spéciaux et la musique contribuen­t à rendre le film meilleur. Vous êtes arrivé à Hollywood à la fin des années 1980, vous y avez travaillé pendant quinze ans, vous y vivez toujours. En quoi le cinéma hollywoodi­en a-t-il changé au fil de ces années ? Quand j’ai fait « la Chair et le Sang » (1985), je pensais possible et souhaitabl­e de prendre l’argent des Américains pour faire des films européens, mais j’ai compris que pour travailler avec Hollywood il fallait vivre là-bas. Au début, j’ai travaillé avec des producteur­s qui étaient de vraies personnes, des gens comme Mike Medavoy pour « Robocop » (1987) ou Mario Kassar pour « Basic Instinct » (1992), avec qui vous pouviez parler, nouer de vraies relations, même si je ne me suis pas fait beaucoup d’amis là-bas. Aujourd’hui, les studios changent de patron tous les trois mois, à leurs yeux les réalisateu­rs sont parfaiteme­nt interchang­eables, vous n’avez plus personne à qui parler. A partir des années 2000, Hollywood m’a considérab­lement déçu, on n’y attend de moi rien d’autre que des films de science-fiction identiques à ceux que j’ai déjà faits. Désormais vous avez un grand tableau sur lequel sont a chées les scènes à mettre en boîte et, sitôt que vous en avez terminé une, vous cochez la case correspond­ante, c’est tout ce qui est demandé aux réalisateu­rs. Ce n’est pas mon idée du cinéma : j’ai découvert le cinéma en France, au début des années 1950, grâce à un professeur de français et latin qui nous montrait les films de Dreyer, de Renoir, de Clouzot. C’est là que j’ai compris que faire des films était un métier et que le cinéma était un art. « Elle », par Paul Verhoeven, à Cannes le 21 mai et en salles le 25 mai.

“La scène du viol nous a pris du temps, c’était extrêmemen­t complexe. ”

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