La Mata Hari russe
Aventurière, espionne, muse de Gorki et de Wells, Maria Zakrevskaïa a eu autant de noms que de vies. Alexandra Lapierre la raconte MOURA, LA MÉMOIRE INCENDIÉE, PAR ALEXANDRA LAPIERRE, FLAMMARION, 732 P., 22,90 EUROS.
Lorsqu’il rencontra Moura chez Gorki, dont elle était l’intendante et la muse, HG Wells fut frappé par sa beauté et sa classe : « Elle donnait l’impression de défier le monde, écrit-il. Non seulement de l’a ronter mais de le diriger. » La jeune femme de 27 ans lui sert de guide dans la Russie bolchevique. Comme tant d’autres avant lui, Wells est séduit. Elle aime son humour British qui lui rappelle son ex-amant, l’agent secret anglais Lockhart. Une idylle naît entre l’écrivain de 53 ans et la mystérieuse Moura. Lorsqu’elle le rejoint en Grande-Bretagne neuf ans plus tard, elle a la même fantaisie, la même liberté. Incarnation de l’âme slave, égérie trouble et troublante, Maria Zakrevskaïa, aristocrate d’origine russe, a vécu des vies parallèles et changé maintes fois de nom. Aventurière, hétaïre, celle qu’on disait espionne demeura insaisissable pour ses adorateurs. Alexandra Lapierre, qui s’est fait une spécialité de remettre en lumière des destins oubliés, a écumé les bibliothèques du monde entier pendant trois ans pour tenter de cerner sa nature complexe. Elle en livre un portrait passionnant, la forme romanesque lui paraissant la plus juste pour ressusciter la Mata Hari slave. Ses amis louaient sa fidélité, ses détracteurs dénonçaient ses mensonges : Moura fut tout cela à la fois, battante aux prises avec un monde déchiré. L’auteur trace le portrait d’une femme hors du commun sans en gommer les aspérités et les ombres. A travers son parcours mouvementé, elle souligne combien il fut di cile de survivre sans compromis dans la Russie de l’époque. Le parcours de Gorki en témoigne. L’impénitente Moura ne le désavouera jamais, elle qui a toujours brouillé les pistes. Son courage reste indéniable. Pendant la Seconde Guerre, elle a ronte le blitz à Londres et seconde le Français André Labarthe, fondateur du journal « la France libre ». La réputation d’agent soviétique de son patron accrédite sa propre réputation d’espionne. A force d’éluder certaines questions, de ne livrer d’elle-même qu’un trompe-l’oeil, elle finit par se perdre de vue, fuyante et multiple comme les grandes héroïnes. On tombe sous le charme de cet incroyable roman russe.