Blake Star
THE COLOUR IN ANYTHING, PAR JAMES BLAKE (UNIVERSAL/POLYDOR).
Entre la soul music et la sculpture sur glace, c’est l’interzone magique où résonne « The Colour in Anything ». L’admirable troisième album de James Blake est une crevasse de spleen électronique où le sublime Britannique n’a jamais mieux chanté, héritier à la fois de Marvin Gaye et de Scott Walker, artiste avec lequel il partage le goût du minimalisme et de l’exploration musicale. Ce qui est passionnant, ici, c’est la façon dont Blake absorbe, compresse ou vampirise les sons dominants de l’époque (rap, electronic dance music, Dance Hall et autre Moombhaton à la Major Lazer) pour les ralentir, les détourner, les déconstruire au service de sa rêverie, de sa mélancolie et de la beauté chlorotique de ses modernes nocturnes. Sans vouloir étou er Blake sous la comparaison, l’esprit beau bizarre d’un morceau comme « Two Men Down », avec son aboiement de chien, n’est pas sans faire écho à la déchirante tentative de Bowie sur le morceau « Blackstar ». Il est vrai que le disque est coproduit par Rick Rubin, grand manitou du hip-hop polymorphe, et que le chanteur R’n’B Frank Ocean y cosigne « Always », jolie ballade au piano rythmée de clapping, dont le refrain, une boucle vocale féminine et perçante, semble sortir d’un tube à twerker de Diplo. Mais James Blake, c’est l’anti-zumba. Blake star : une nouvelle étoile noire ? E royablement romantique, c’est le Desdichado et le « Desafinado ».
« J’ai besoin d’un feu de forêt », chante le soulman au coeur transi, en voie de cryogénisation. Dans les lointains d’une chanson triste, palpite, voilé, perdu, exsangue, un rythme techno (« I Hope My Life » qui sonne comme un avatar lunaire de « Niggas in Paris » de Kanye West et Jay-Z). Çà et là, le fantôme d’un gospel passe comme un ange. Dans la catégorie caduque du slow de l’été, on élirait volontiers « My Willing Heart », où le chanteur de Lewisham, entre millésime et modernité, s’accompagne de « beeps », de boîtes à rythmes et de violons. Ajoutez à cela ces bribes de mélodie anglaise dont l’artiste de 27 ans n’oublie jamais de féconder ses lamentations.