L'Obs

Paula Becker, quelle splendeur !

PAULA MODERSOHN-BECKER. JUSQU’AU 21 AOÛT, MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS, PARIS-16E. CATALOGUE : PARIS MUSÉES, 256 P., 35 EUROS. « ÊTRE ICI EST UNE SPLENDEUR », PAR MARIE DARRIEUSSE­CQ, P.O.L, 160 P., 15 EUROS.

- BERNARD GÉNIÈS

Elle fut l’amie de Rainer Maria Rilke. Pourtant, dans l’ouvrage que ce dernier consacre aux peintres de l’école de Worpswede, village proche de Brême, en Allemagne, l’écrivain ne la cite à aucun moment, préférant évoquer l’oeuvre de son époux, Otto Modersohn. La postérité lui a donné tort puisque aujourd’hui Paula ModersohnB­ecker (1876-1907) est largement reconnue en Allemagne, son pays natal, où un musée lui est même consacré. En France, c’est une autre histoire, une longue indi érence qui vient seulement d’être rompue à l’occasion de cette exposition et de la publicatio­n d’un livre de Marie Darrieusse­cq. Issue d’une famille aisée, la jeune femme est partagée entre deux mondes artistique­s : celui où elle vit (teinté d’académisme provincial) et celui qu’elle découvre à Paris, où elle séjourne à plusieurs reprises entre 1900 et 1906. Curieuse de tout, elle regarde l’art funéraire du Fayoum au Louvre, les peintres de la Renaissanc­e, Rodin, Cézanne, Gauguin. Elle regarde, mais c’est pour mieux oublier. Son art ne connaît en e et qu’un seul prisme : celui de l’intimité. Les tableaux présentés au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris sont pour la plupart des portraits ou des autoportra­its. S’y ajoutent quelques paysages et natures mortes. Les compositio­ns sont dépouillée­s, les cadrages serrant au plus près le visage des enfants ou des femmes de son entourage. Son audace est fiévreuse, la matière picturale, souvent épaisse, est parfois gri ée par le manche du pinceau (comme chez le Norvégien Munch). La couleur, qu’elle soit terreuse ou vive, est toujours subjective : elle ne se soucie pas du réel, elle est là pour a rmer, comme dans un récit, un ton, une expression.

Cet univers, où les figures de maternité sont nombreuses, a incité Marie Darrieusse­cq à consacrer un récit biographiq­ue à cette femme lumineuse. Cette enquête, fruit de ses propres recherches, s’appuie également sur les écrits de la peintre et sur ceux de Rilke. Lumineuse comme son modèle, Darrieusse­cq compose un merveilleu­x portrait, une sorte de mélopée vive, dénuée de toute empathie. Le destin de Paula Modersohn-Becker (emportée à 31 ans par une embolie pulmonaire) aurait pu l’inciter à tomber dans ce travers. Elle évite habilement l’écueil : son livre est un chant impétueux, un hymne à la vie et à la quête de la splendeur.

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« Jeune fille avec une fleur jaune dans un verre » (1902).

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