L'Obs

LUXE, CUBA ET VOLUPTÉ?

Quoi de commun entre un pays communiste, où le luxe est inaccessib­le, et la marque Chanel? Un monde rêvé, en fait

- Par SOPHIE FONTANEL

C ette année, la collection Croisière de Chanel était présentée à Cuba, à La Havane, dans ce pays notoiremen­t (et funestemen­t) peu ouvert au reste du monde, jusqu’à ces derniers mois. Votre serviteuse n’étant, pour une fois, pas du voyage, elle a pu faire comme les Cubaines avec Chanel, c’està-dire se contenter de rêver aux choses, notamment aux posts Instagram qu’elle aurait pu faire là-bas, en ces circonstan­ces tout de même assez ahurissant­es, pour ne pas dire « historique­s ». Ce n’est pas tous les jours, surtout à Cuba, que le luxe rencontre l’opposé du luxe.

Certains ont d’ailleurs jugé cette fusion improbable. Et pourtant, cette rencontre, j’aimerais ici en plaider l’insolite pertinence.

Ça commence cocasse, vu que Karl Lagerfeld lui-même aurait déclaré, si j’en crois la très profession­nelle publicatio­n « The Business of Fashion », que, lançant il y a des mois l’idée d’aller à Cuba pour un show, il ne faisait que « plaisanter ».

Certes, Chanel et Cuba n’ont en e et a priori rien à voir. Coco et le cocommunis­me, encore moins. Presque personne à Cuba ne peut s’o rir un tailleur Chanel, on s’en doute. Toutefois, Chanel a quand même réussi à passer le mur invisible mais rude de Cuba, le fameux mur de… Castrorama.

En 1962, quelques années seulement après la révolution, et alors qu’on ne jette pas encore à Cuba les homosexuel­s en prison (deux ans plus tard, ce sera le cas), Agnès Varda est sur zone et filme l’élégance des Cubaines (« Varda/Cuba »). Ces femmes : pas un sou, mais toutes très Chanel. Toutes un mélange d’Anna Karina en pleine Nouvelle Vague et des clientes de la rue Cambon. Ces Cubaines portent mieux que personne la fameuse petite robe noire de Coco Chanel, elles la portent avec des escarpins blancs, et leur chic crève l’écran.

La fermeture de Cuba au reste du monde va en quelque sorte conserver intact un certain nombre de choses, dont cette si chanellisa­nte allure des femmes, qui est encore aujourd’hui, avec les moyens du bord (très chiches), irrésistib­le. Et sexy, en plus.

La féminité de Cuba, c’est du Coco avec le corps en plus, le cocorps qui danse et cocopule et se régale.

Puisque je n’ai fait que rêver ce voyage, j’ai rêvé aussi ce qu’en aurait dit Edmonde Charles-Roux et Françoise Giroud. A ce qu’elles auraient « posté » ? A l’excitation que ça aurait pu être d’aborder des Cubaines, de les photograph­ier et de leur donner la parole sur les réseaux sociaux à propos de ce que ça veut dire « fantasmer » les beaux habits, se les dégoter, se les inventer. Des posts sur ce Chanel inatteigna­ble mais au fond intégré par les Cubaines, merveilleu­sement, depuis trois génération­s.

Quant à Karl, sa « plaisanter­ie », si c’en était bien une, vient peut-être d’une passion ancienne de cet homme pour les danses latines. Sa marotte, jadis. Comme l’atteste cette photo ci-dessus, en devanture du cours de danse Georges & Rosy du 20, rue de Varenne. Ah, toutes nos plaisanter­ies sont notre inconscien­t, on le sait !

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