L'Obs

“LE BARMAN EST UN CRÉATEUR”

Au bar du restaurant Dersou, élu meilleure table par le guide Fooding en 2016, ce mixologist­e relève le défi d’alliances inédites en proposant des accords mets et cocktails

- PROPOS RECUEILLIS PAR RACHELLE LEMOINE

Comment vous est venue la passion du cocktail ? C’est une longue histoire. Je suis né au Maroc en 1985, puis j’ai grandi dans le sud de la France. Après avoir décroché mon master en Droit du travail, j’ai commencé une carrière de juriste que j’ai très rapidement trouvée ennuyante. A 22 ans, j’ai pris un aller simple pour Dublin, et j’y ai découvert l’univers de la restaurati­on et des bars. C’est devenu une véritable passion. J’ai tout de suite aimé ce métier qui me permet de découvrir et de créer sans fin. J’ai ensuite voyagé dans de nombreux pays (Australie, Espagne, Japon) pour découvrir de nouvelles saveurs gustatives, tout en exerçant mon métier de barman. Parlez-nous de votre rencontre avec le chef Taku Sekine… C’était en 2011, à Paris. Je travaillai­s en tant que barman dans di érents endroits (Prescripti­on Cocktail Club, Curio Parlor). J’ai rencontré Taku au Sherry Butt, que je venais de créer dans le Marais. Il était venu voir mon travail, car il souhaitait ouvrir un restaurant avec bar à cocktails. Comme moi, avant de s’investir dans la restaurati­on, il a e ectué des études un peu sérieuses (économie et politique pour lui), puis a voyagé à travers le monde grâce à son métier de cuisinier. Il a commencé dans son pays, au Japon, chez Alain Ducasse, puis en France, au Plaza Athénée, chez Hélène Darroze, et enfin à New York. Nous nous sommes donc découvert de nombreux points communs. Si l’univers de la gastronomi­e et celui du cocktail sont di érents, ils ne sont pas si éloignés. Un bartender e ectue ses propres sirops et infusions en choisissan­t de bons ingrédient­s, et met en oeuvre de la technique pour réaliser ses cocktails. Tout comme un cuisinier pour la réalisatio­n de ses plats. Comment est née l’idée de créer Dersou ? Après avoir ouvert le Sherry Butt, je souhaitais un nouveau challenge. Taku, de son côté, voulait ouvrir son propre restaurant. Progressiv­ement, nous avons eu l’idée d’un restaurant qui servirait des cocktails, et non du vin. Le format d’un menu dégustatio­n en cinq étapes, avec cinq plats et cinq cocktails associés, nous est apparu idéal. Dersou a ouvert fin 2013. Comment travaillez-vous vos accords mets-cocktails ? Le barman est un créateur. Sa réactivité est plus grande que celle du cuisinier. Et il a tout sous la main pour pouvoir créer au dernier moment. De son côté, Taku doit établir le menu en fonction des produits qu’il a commandés, ce qui restreint fortement l’improvisat­ion. Donc, nous partons toujours de la création culinaire pour développer le cocktail en accord. Taku décide de ce qu’il va mettre en avant dans ses plats, et je m’adapte pour trouver la meilleure alliance cocktail possible. Les accords mets et cocktails écartent-ils un certain type de cuisine? De même, certains types de cocktails sont-ils exclus d’avance ? Il n’existe pas d’interdits au niveau culinaire, mais il faut laisser de la place en termes de saveurs, aussi bien au cocktail qu’au plat. C’est une a aire d’équilibre, à l’instar des accords mets et vins. Nous évitons juste de trop épicer la cuisine. Nous veillons également à l’amertume, une saveur répandue dans les cocktails, mais qui s’intègre di cilement en gastronomi­e. Certains spiritueux s’accordent-ils d’emblée avec des aliments comme la viande, le poisson ou les légumes ? J’aime associer les alcools de céréales avec les viandes, et je réserve les alcools de fruits et de végétaux pour les poissons et les crustacés. Il ne s’agit là que d’une préférence personnell­e. Je pense qu’on peut associer tout type d’alcool avec des plats. Par exemple, je suis fan d’un accord que nous avons proposé l’hiver dernier : des huîtres pochées avec du chou kale et un granité de fromage blanc associé à un cocktail à base de gin, de bergamote, de noisette, de fino sherry et de citron. Les saveurs se mêlent en toute harmonie et créent un bel équilibre. Quel est le meilleur accord que vous ayez jamais réalisé ? Sans hésiter, celui d’une viande rouge, saisie à la plancha, et d’un cocktail à base de whisky écossais, de whisky tourbé, d’une réduction d’orange, de vermouth et de porto. La saveur légèrement fumée et puissante du cocktail se marie parfaiteme­nt avec les arômes intenses que dégage la viande quand elle a subi la réaction de Maillard, sous l’e et d’une forte cuisson. Divin!

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