L'Obs

Jamais sans mon permis

En France, le permis de conduire est un graal qui coûte cher, demande de longs efforts, se rate beaucoup. Une réforme est en cours. Suffira-t-elle à faire oublier la terrible réputation du premier examen de France?

- CÉCILE DEFFONTAIN­ES

Mise en place en mai, la réforme du permis de conduire a mal commencé : la nouvelle banque de 1 000 questions de l’examen théorique a fait drastiquem­ent baisser le taux de réussite des candidats conducteur­s, de 70% à 17%. Du coup, à peine créée, elle doit être modifiée. La dernière étape de la réforme est prévue pour le 13 juin : des entreprise­s (dont La Poste) pourront désormais surveiller le Code. L’objectif du ministère est de décharger les inspecteur­s pour qu’ils se consacrent à la conduite et à l’examen. Chaque année, 1,5 million de personnes, essentiell­ement des jeunes, s’y présentent. Seul un sur deux le décroche. Obtenir le permis n’est pas une sinécure : en moyenne, il leur en coûtera 1500 euros pour payer les 35 heures de leçons de conduite nécessaire­s. Aujourd’hui, nous sommes 40 millions d’automobili­stes. Qu’il est loin le temps des premières cylindrées! En 1873, l’inventeur Amédée Bollet fabrique une voiture à vapeur, « l’Obéissante ». Deux ans plus tard, il effectue un voyage Paris-Le Mans en 18 heures, et cela grâce à l’autorisati­on donnée par le ministre des Travaux publics : c’est le premier embryon de permis. Mais comme rien n’est encore vraiment prévu pour la circulatio­n de véhicules sans chevaux, l’aventurier se voit délivrer 75 procès-verbaux en chemin! En 1891, Léon Serpollet, constructe­ur d’automobile­s, sera le premier détenteur d’un vrai « permis de conduire », bien que ce dernier n’en porte pas encore le nom. Le préfet lui octroie le droit de rouler, mais dans une limite de 16 km/h. Il y a alors moins de 2000 voitures en circulatio­n. En 1898, la duchesse d’Uzès est la première femme à décrocher le permis… et à écoper illico d’une contravent­ion pour excès de vitesse. Il faudra attendre 1921 pour qu’un Code de la route unifié soit établi. Quant au permis de conduire, il apparaît pour la première fois sous ce terme en 1922. Il remplace le certificat de capacité jusque-là délivré par les préfets. Le modèle est déjà de couleur rose, d’où son surnom de « carte rose ». L’apprentiss­age se profession­nalise et le métier de moniteur voit le jour. L’explosion du nombre de voitures va tout bouleverse­r. Il y en a environ 200000 dans les années 1920; dix fois plus en 1940. Un arrêté de 1954 pose les fondements du permis moderne. Les catégories A 1, A,B, C, D, E et F sont créé es. Pour les jeunes conducteur­s, la limitation à 90 km/h est instaurée à la fin des années 1960, avec autocollan­t obligatoir­e à l’arrière du véhicule. A partir de 1987, les mineurs de plus de 16 ans peuvent bénéficier de la conduite accompagné­e. La première grande bataille sera celle du permis à points. Sa mise en applicatio­n, en 1992, tourne à la pagaille. Les chauffeurs routiers, rangés derrière leur leader, « Tarzan », bloquent la circulatio­n car ils ont peur de perdre leur outil de travail. Mais ce système de points sera adopté malgré tout. Chacun en a 12 au compteur. Au début des années 2000, une réforme du permis est engagée. Son but : lutter contre le fléau des morts sur la route. Leur nombre a déjà bien baissé depuis trente ans : autour de 8000 en 2000, contre deux fois plus en 1970. C’est encore trop. La nouvelle politique, répressive, marche, avec un plancher de 3250 morts en 2013. Las, la courbe remonte désormais. En septembre 2015, un texte prévoit qu’un automobili­ste pris sans permis ou sans assurance, normalemen­t coupable d’un délit, ne s’acquittera­it plus que d’une amende de 500 euros. Face à la bronca d’associatio­ns et de la droite, il n’est pas adopté. Il faut dire que conduire sans permis est devenu un sport national : ils seraient au moins 500 000 à se mettre au volant sans le précieux papier...

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