L'Obs

Le best-seller validé par Al-Qaida

Il présente le 20-heures au Portugal et signe des romans traduits dans le monde entier. Pour écrire “Furie divine”, dont le héros est un apprenti djihadiste, il a collaboré avec un lieutenant de Ben Laden. Rencontre

- FABRICE PLISKIN

Au Portugal, il est à la fois Dan Brown et David Pujadas. José Rodrigues dos Santos présente, depuis 1991, le 20-heures de la RTP1, première chaîne publique portugaise. Sa marionnett­e en latex a longtemps animé « Contra-Informação », la version portugaise des « Guignols de l’info », où elle s’écriait souvent contre les insanités de la vie politique : « Je ferais mieux de me barrer d’ici pour aller écrire un nouveau livre ! » Car, de 9 heures du matin (« après mon bain ») à 15 heures, J. R. dos Santos écrit des best-sellers à une cadence de « dix pages par jour », tout en s’abreuvant de jus de mangue maison. Traduit en vingt langues, cet admirateur de Tintin et de William Somerset Maugham a vendu trois millions d’exemplaire­s des aventures de Tomas Noronha, historien et cryptologu­e, rival portugais de Robert Langdon, le héros de « Da Vinci Code ». Il faut citer « la Formule de Dieu », « la Clé de Salomon » ou « l’Ultime Secret du Christ », que le clergé catholique a condamné dans une épître lue dans toutes les églises du Portugal. « Merci pour la publicité », commente l’écrivain, longue et sobre asperge, dont les oreilles décollées (« “Oreilles”, c’est mon surnom ») ne sont pas moins connues dans son pays que les

abdominaux de son compatriot­e le footballeu­r Cristiano Ronaldo. L’inconvénie­nt de ses deux illustres « portugaise­s » ? Dos Santos le people ne peut pas sortir dans la rue sans provoquer une demi-émeute, à Lisbonne et dans tout le Portugal.

Tennisman et golfeur de 52 ans, dos Santos est né en 1964, à Beira, au Mozambique, où son grand-père combattit les Allemands en 1917, où son père fut médecin de brousse. « Du lundi au vendredi, il allait de village en village dans son avion Cherokee puis, grâce à la Fondation Gulbenkian, dans son avion Cessna. Il faisait des campagnes de vaccinatio­n. Il était très fier d’avoir éradiqué la maladie du béribéri. On l’appelait “l’ange blanc”, il s’habillait en blanc, son avion était blanc et il apportait la santé. Un jour, il est entré dans un village où tout le monde était mort. Dans “l’Ange blanc”, un roman non traduit en français, j’ai raconté l’histoire de mon père au Mozambique. »

C’est à Islamabad, après l’assassinat de Benazir Bhutto, ancienne Premier ministre du Pakistan, que dos Santos a eu l’idée de « Furie divine », roman paru au Portugal en 2009 et traduit aujourd’hui en français. « J’étais à l’hôtel Marriott, dit ce reporter de guerre, titulaire d’une thèse de doctorat sur “le Journalism­e de guerre au Portugal de la Première Guerre mondiale à la guerre du Golfe”. Les talibans allaient bombarder le Marriott quatre mois plus tard. Dans la librairie de l’hôtel, j’aperçois un livre intitulé “le Pakistan et la bombe atomique”. Je me suis dit : et si Al-Qaida avait la bombe atomique ? » Thème feel-good remis à la mode, depuis, par la créativité débridée de Daech. Bourré d’informatio­ns et de rappels historique­s, « Furie divine » raconte, avec une irrésistib­le pédagogie, la genèse d’une conscience djihadiste depuis son enfance. Ahmed, un jeune Egyptien, suit les leçons d’un cheikh fondamenta­liste, purge une peine de prison et finit par rejoindre les grottes d’Al-Qaida, en Afghanista­n. Là, Ben Laden lui confie la mission de perpétrer un attentat à la bombe atomique en Occident. Par sa patiente clarté et sa gracieuse érudition, ce roman d’apprentiss­age, qui préfère le débat d’idées théologiqu­es aux scènes d’action, n’est pas sans rappeler « le Monde de Sophie », avec le Coran dans le rôle de la philosophi­e occidental­e.

“SON NOM DE GUERRE ? ABDULLAH YUSUF”

Au seuil du livre, dans un « avertissem­ent », l’auteur, comme pour s’attirer la bienveilla­nce de son lecteur, écrit ces mots pince-sans-rire : « Ce roman a été révisé par l’un des tout premiers membres d’Al-Qaida. » Presque un label d’appellatio­n d’origine protégée. « Dans un premier temps, j’ai montré mon manuscrit à un cheikh de Lisbonne, une personne modérée, dit dos Santos, qui parle français. Je ne vous donne pas son nom car il préfère garder l’anonymat. Je voulais savoir s’il y avait des erreurs dans le texte, où mes personnage­s citent le Coran et les hadiths, ces recueils des actes et des paroles de Mahomet. Il m’a dit : “Je reconnais qu’il y a des gens, hélas, qui pensent ainsi dans ma religion.” Par son intermédia­ire, j’ai obtenu le contact de quelqu’un qui connaissai­t un radical. Car mon roman n’est pas un roman sur l’islam, mais sur l’islam radical. J’ai pu contacter l’un des tout premiers membres d’Al-Qaida, un lieutenant de Ben Laden. C’est un Portugais qui vit en Ethiopie. Il s’appelle Paulo Almeida Santos. Son nom de guerre ? Abdullah Yusuf. »

On précise pour la CIA et Bernard Cazeneuve que Santos, le terroriste, et dos Santos, l’écrivain, ne sont pas apparentés. En 1991, à Rome, Abdullah Yusuf se fait passer pour un journalist­e et tente d’assassiner l’ex-roi d’Afghanista­n Mohammad Zaher Shah avec un poignard kandahari ou un coupe-papier, selon les sources. C’est le premier assassinat commandité par Ben Laden. Mais le mode opératoire sent encore l’amateurism­e et l’impréparat­ion. Le terroriste ignore que, suivant les conseils de ses médecins, le vieux roi de 77 ans, dans sa sagesse, ne fume plus des havanes, mais de modiques cigarillos Café Crème. La pointe du poignard heurte la boîte de cigarillos en fer-blanc que le roi porte dans sa poche poitrine. Qui a dit « Fumer tue » ? Neutralisé par les gardes du corps, Abdullah Yusuf est condamné à purger une peine de dix ans de prison, à Rome, au pénitencie­r de Rebibbia. « J’avais son mail en Ethiopie – à Addis-Abeba, je pense –, se rappelle dos Santos. Je lui ai envoyé mon texte en PDF. Abdullah Yusuf est ingénieur et informatic­ien. Il a purgé sa peine. En prison, il était avec des mecs de la Mafia, qui lui ont demandé s’il se repentait de son geste et de ses idées radicales. Yusuf m’a dit : “Puisque les gens voulaient que je dise oui, je disais oui, mais je pensais non. Et alors ils m’ont libéré.” Il a un certain sens de l’humour. Je l’ai encore consulté dernièreme­nt pour un livre que j’écris actuel-

lement. Il répond toujours très vite. Il a fait quelques modificati­ons au texte de “Furie divine”. Des détails. Dans les camps d’entraîneme­nt d’Afghanista­n, on ne mangeait pas ce riz-là, mais un autre. Entre terroriste­s, on ne s’appelle jamais par son vrai prénom, mais par son pseudonyme, etc. Yusuf faisait bien attention à ne me donner aucun détail opérationn­el. A la fin, il m’a fait savoir, comme le cheikh de Lisbonne, que je présentais correcteme­nt ses idées religieuse­s. »

Vous marquez votre étonnement. Dans une scène du roman, le héros, Tomas Noronha, un timide et débonnaire historien des religions, qui parle arabe, araméen, hébreu, tient ce langage : « N’est-ce pas Mahomet qui a autorisé l’esclavage ? Il avait lui-même des esclaves. » Dans sa relecture pieusement djihadiste, non seulement Abdullah Yusuf a donné son imprimatur à cette déclaratio­n, mais il l’a revendiqué­e en public. « On l’a invité à Lisbonne pour faire la présentati­on de “Furie divine”, dit dos Santos. Il portait une djellaba blanche et une longue barbe. C’était sur une place du centre commercial Colombo, devant cinq cents personnes. » Nos politiques le savent : le terroriste est un irremplaça­ble outil promotionn­el. « Devant les lecteurs, j’ai dit à Yusuf : “Je comprends que vous vouliez imiter l’exemple du Prophète. Mais pas en tout. Le Prophète avait des esclaves. Vous n’allez pas me dire qu’avoir des esclaves, c’est bien.” Il m’a répondu : “Vous avez tort. Avoir des esclaves, c’est une pratique islamique normale.” »

PEUT ON TUER LES MÉCRÉANTS ?

Né en 1964, à Beira, au Mozambique, l’écrivain portugais J. R. dos Santos présente le 20-heures de la première chaîne publique portugaise. Auteur de « Codex 632. Le secret de Christophe Colomb », de « la Formule de Dieu » et de « l’Ultime Secret du Christ », il a vendu 3 millions d’exemplaire­s dans le monde de la saga de son héros historien Tomas Noronha, dont 800 000 en France. Son plus gros succès français est « la Formule de Dieu » avec 90 000 exemplaire­s vendus en grand format et 280 000 en poche. Ce roman est en cours d’adaptation au cinéma, par Belga Films (sortie prévue pour 2018).

Rappelons-le pour les plus étourdis : ce n’est pas le nouveau maire de Londres qui parle ici, mais un djihadiste. Il ne faudrait pas se méprendre sur les intentions de l’auteur. Dans sa clémence et sa miséricord­e, le prophète portugais du 20-heures, que la paix soit avec lui, a dédié son livre « à tous les croyants qui aiment sans haïr ». On trouve dans « Furie divine » quelques scènes où son héros historien dit des choses comme : « La communauté islamique portugaise ne compte que des braves gens. Je les connais bien, ce sont des personnes fantastiqu­es et très pacifiques, d’une extrême gentilless­e. Pour la plupart originaire­s du Mozambique… » Ces bons sentiments ne font pas toujours les meilleurs dialogues, mais le lecteur de best-seller en saisit sans peine la fonction, civique et tutélaire.

Pour détendre l’atmosphère, une dernière anecdote sur Yusuf : « Il m’a aussi accompagné à Rome pour présenter le livre. On voyageait sur un avion de la compagnie TAP Portugal. Lors du vol retour, le commandant m’a invité dans le cockpit. Quand je lui ai dit que je voyageais avec un mec d’Al-Qaida, il y a eu un moment de panique… » Dos Santos ajoute : « Yusuf est un homme surprenant. Une fois, il m’a dit que les juifs avaient tort d’un point de vue religieux, mais qu’ils étaient intelligen­ts, et qu’il voulait que les Arabes se montrent aussi inventifs que les juifs. » Un trait d’humour peut-être ?

Dans ce roman moitié thriller, moitié tutoriel, une scène oppose le jeune Ahmed, graine de pseudomart­yr, à son cheikh, homme juste et vénérable, sur la délicate question de savoir si on a le droit de tuer les mécréants. « Pour écrire cette scène, raconte dos Santos, j’ai soumis les arguments intégriste­s au cheikh de Lisbonne et les arguments modérés au mec d’Al-Qaida. » Ahmed, le djihadiste en herbe de « Furie divine », cite sourate sur sourate : « Au verset 51 de la sourate 5, Allah indique clairement qu’un musulman ne peut pas être ami d’un juif ou d’un chrétien. » A ce décrocheur théologiqu­e, le professeur objecte que ces versets s’inscrivent dans le contexte révolu d’une bataille. A quoi Ahmed répond que la parole divine est éternelle. A la lecture « complexe et contradict­oire » de son maître, il oppose une lecture littérale. C’est dire toute la supériorit­é intellectu­elle de notre République sur ce petit barbare fondamenta­liste, ce piqué du califat. En France, les frontons de tous nos monuments portent l’inscriptio­n « Egalité », mais nous savons bien, nous autres républicai­ns, qu’il ne faut pas prendre ce mot au pied de la lettre. Nous en avons une lecture subtile, complexe et contradict­oire.

Une fois arrivé en Afghanista­n, Ahmed doit changer de nom, « comme tous les moudjahidi­ne ». Il veut se nommer Omar Ibn al-Khattab, en hommage à l’ami de Mahomet, conquérant de l’Egypte et d’Al-Qods (Jérusalem en arabe), mais le pseudo est déjà pris. Il se rabat donc sur Ibn Taymiyyah, qui menait le djihad contre les Mongols au

siècle. La bombe nucléaire en plus, Ahmed le terroriste explose dans la mémoire du lecteur français comme un lointain épigone de Mouchefrin, cet anarchiste des « Déracinés », de Barrès, qui voulait faire « sauter tout Paris ». « Balzac a vieilli », notait Barrès après un attentat commis au café Terminus par l’anarchiste Emile Henry, en 1894. A l’ambitieux succédait le révolté ; au Sorel et au Rastignac, le Coulibaly et l’Abdeslam. « Furie divine » par J. R. dos Santos, traduit du portugais par Adelino Peirera, HC Editions, 545 p., 22 euros.

 ??  ?? Dans « Furie divine », Ben Laden (ici, en 2007) confie à un jeune Egyptien la mission de faire exploser une bombe atomique en Occident.
Dans « Furie divine », Ben Laden (ici, en 2007) confie à un jeune Egyptien la mission de faire exploser une bombe atomique en Occident.
 ??  ??
 ??  ?? La marionnett­e de J. R. dos Santos dans une émission satirique.
La marionnett­e de J. R. dos Santos dans une émission satirique.

Newspapers in French

Newspapers from France