“Un miroir sans tain”
En quoi Periscope pousse-t-il encore plus loin la logique des réseaux sociaux ? Sa particularité, c’est la mise en images animées, en direct. L’image n’est plus figée comme elle l’est avec les selfies. Et elle dure plus que les quelques secondes des microvidéos sur Snapchat : elle est presque illimitée dans le temps.
Il ne se passe parfois rien, ou très peu de chose… Comment combler mon temps, lutter contre ma solitude, ma déprime? J’y ai vu une jeune fille qui le disait franchement : « Mes deux meilleurs amis ne sont pas là, je m’adresse à vous. » Comme c’est du live, Periscope permet d’instaurer une relation vivante, une interaction. Elle vous épargne le manque de l’autre.
Y a-t-il un profil type du périscopeur ? On y rencontre des adolescents, logiquement. Avoir des dizaines de regards posés sur soi, c’est s’inscrire dans un lien social vital à cet âge. Les petits coeurs, les commentaires « renarcissisent ». On cherche la reconnaissance de l’autre en se lançant des défis propres à l’adolescence, en montant des canulars. Et la bassecour vous applaudit. Mais Periscope touche une tranche d’âge plus élevée que Snapchat. Des 17-25 ans, souvent des jeunes adultes au chômage, y cherchent une reconnaissance que la société ne leur donne pas. D’autres, enfin, comme Océane, qui s’est suicidée, sont en grande difficulté et dans l’illusion que l’autre, derrière l’écran, pourra les sauver.
Ont-ils vraiment conscience d’être vus ? Non, ces personnes sont tellement en contact avec les écrans qu’elles ne se rendent plus compte que leur smartphone n’est pas un miroir réflexif. Que ce n’est pas juste un lieu où déposer son mal-être, comme l’est un journal intime en papier, mais un miroir sans tain. Et qu’elles sont en présence d’êtres réels, potentiellement dangereux car désinhibés à cause de l’écran. La haine resurgit facilement. (*) Auteur de « l’Adolescent face à Facebook. Enjeux de la virtualescence, Editions In Press, juin 2016.