L'Obs

NSA, UNE HISTOIRE TRÈS SECRÈTE

Omniprésen­te dans l’histoire des Etats-Unis depuis les années 1950, la National Security Agency n’avait jusqu’ici pas fait l’objet d’une synthèse en français. C’est chose faite grâce à Claude Delesse, spécialist­e du renseignem­ent

- MAXIME LAURENT ILLUSTRATI­ON : OLIVIER BALEZ

NSA, comme « No Such Agency » : « Une telle agence n’existe pas », répondaien­t les initiés, passés à « Nothing Sacred Anymore » (« Plus rien de sacré ») quand les médias en firent leurs gros titres. Mais la plus grande agence de renseignem­ent électroniq­ue demeure le chantre du « No Say Anything » (« N’en parlez pas »), quitte à redoubler de mensonges et à camoufler les chi res de son budget comme le nombre de ses recrues, encouragée­s à se marier entre elles.

Créée en 1952 par une directive présidenti­elle secrète, la NSA a pour « père » Ralph Canine, un général quinquagén­aire « coriace » que « son personnel adule ». En cinq années, il développe une structure active dans la plupart des décisions de politique internatio­nale américaine. Pour le pire, comme au Vietnam ou face à Al-Qaida, ou le meilleur, notamment lors de la crise des missiles de Cuba.

Incapable de casser les codes soviétique­s malgré l’aide de spécialist­es nazis, la NSA peine d’abord à justifier son existence. Le président Eisenhower, ancien commandant des forces alliées, sait néanmoins ce qu’il devait aux intercepti­ons des messages de l’Axe. Il ordonne donc que plus de la moitié du budget du renseignem­ent soit alloué à la NSA, toujours dirigée par un militaire et dépendante du Pentagone.

L’agence a d’emblée vocation à tout écouter. Mission impossible ? Ses scientifiq­ues et les petits génies recrutés à la sortie des université­s bénéficien­t des avancées de Bell, IBM et consorts. Ordinateur­s surpuissan­ts, piratage et désormais intelligen­ce artificiel­le accroissen­t les capacités des postes d’intercepti­on, navires, avions, etc. et d’une constellat­ion de satellites espions… dont les premiers exemplaire­s sont dirigés sur la France gaullienne. A l’époque, Jane Fonda, Joan Baez, Martin Luther King, Malcolm X et 1 600 militants des droits civiques sont également surveillés, victimes d’une tradition née dans l’entre-deuxguerre­s, lorsque les télégramme­s envoyés via la Western Union et ses concurrent­s étaient littéralem­ent achetés par les services. En 1978, le démocrate Carter bride la NSA mais, sous Reagan et face à « l’empire du mal », les crédits a uent de nouveau.

La fin de la guerre froide et ses coupes budgétaire­s n’entament en rien le rêve d’une « surveillan­ce massive ». Le réseau d’espionnage planétaire Echelon, créé avec le Royaume-Uni en 1946, et symbolisé par ces haies de radômes sur de vastes terrains interdits, reste plus que jamais actif : en 1990, l’espionnage économique est érigé en « priorité nationale » par le président Bush.

Malmenée, la NSA communique, ouvre un musée, une bibliothèq­ue, inaugure des mémoriaux… Malgré l’ine cacité des ruineux programmes de surveillan­ce que révèle le 11 septembre 2001, la « guerre contre le terrorisme » autorise la NSA et son directeur, Keith Alexander alias « Keith le geek », à intensifie­r une stratégie hyper-intrusive, aidée par la révolution numérique. C’est ici qu’intervient le programme Prism, que révélera Edward Snowden.

Forte d’un budget annuel qui dépasse depuis les années 2000 les 10 milliards de dollars, connectée aux serveurs des géants américains des communicat­ions et de l’informatiq­ue, la NSA engloutit « massivemen­t des données » pour ses analyses. En 2007, sa facture d’électricit­é s’élève à 60 millions de dollars… Les 40 000 recrues de cet « empire du renseignem­ent » se répartisse­nt entre le quartier général de Fort Meade, dans le récent Utah Data Center de 100000 mètres carrés, où la NSA entend « ficher la population mondiale », divers centres régionaux mais aussi au sein de petites antennes permanente­s ou mobiles. Le siècle aura donc permis « la constructi­on secrète d’un système de surveillan­ce étatique hypertroph­ié et omniprésen­t, invisible et hors de contrôle », souligne Delesse. « Qu’adviendrai­t-il si l’Amérique était aux mains d’un dictateur ou d’un gouverneme­nt militaire extrémiste ? » s’interroge l’auteur. La question mérite d’être posée. « NSA. National Security Agency », par Claude Delesse, Tallandier.

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