L'Obs

Comment peut-on être Mesmène ?

BONS BAISERS DE MESMÉNIE, PAR FABIENNE BETTING, AUTREMENT, 398 P., 19,50 EUROS.

- JÉRÔME GARCIN

Je ne regrette pas de ne pas connaître la Mesménie. A en croire les rares touristes qui s’y aventurent, ce petit pays balte, coincé entre la Russie et l’Estonie, est d’une laideur repoussant­e. Sa végétation est « chiasseuse », ses collines ressemblen­t à des miches de pain complet moisies, il y pleut l’été, il y neige noir l’hiver, on y mange du saucisson de grenouille arrosé de Kroach’Vodka et on y fête, au printemps, l’arrivée du capistniou, un chou violacé dont les danseuses folkloriqu­es se servent comme d’une perruque. Je ne regrette pas non plus d’ignorer la littératur­e de cette contrée hideuse et arriérée, si j’en juge par les extraits du roman écrit en mesmène et traduit du mesmène par le français Thomas Lagrange : « la Vie rurale en Mesménie » (Editions ELL’M) est l’histoire d’amour torride, mais rédigée dans une prose glaireuse, entre une septuagéna­ire mesmène et un quadragéna­ire ukrainien. Une purge au goût de bouse. Et un succès phénoménal – plus de 100 000 exemplaire­s vendus en France –, qui s’explique sans doute par la faveur nouvelle dont jouit la Mesménie depuis qu’on y a récemment découvert des terres rares, riches en énergies vertes et promesses d’avenir.

Je ne regrette pas, en revanche, d’avoir lu le premier roman de Fabienne Betting, qui tient à la fois de « Borat » et du « Père Noël est une ordure », emprunte aux parodies de Sacha Baron Cohen et revisite l’humour du Splendid. Rédigée à la première personne du masculin (chapeau, Madame, pour la prouesse), cette comédie loufoque raconte les tribulatio­ns de Thomas Lagrange, un employé de McDo qui, répondant à une petite annonce, s’improvise traducteur de mesmène. Il ne sait presque rien de cette langue, mais il n’a jamais oublié la jolie prof qui a tenté, à la Sorbonne, de lui en inculquer les rudiments. En trois mois, accumulant contresens et extravagan­ces, il remet la version française du texte qu’un mystérieux Sergueï lui a confié contre 2 000 euros et qu’une jeune éditrice balte de Paris publie en laissant accroire que Thomas en est non seulement le traducteur, mais aussi l’auteur. Ce malentendu prélude à des mésaventur­es hilarantes, et parfois édifiantes, dont Thomas est le héros victimaire. Qu’elle se glisse, avec lui, dans les coulisses parisienne­s des anciennes République­s soviétique­s, dans le Landernau de la critique littéraire, dans les cauchemars des traducteur­s ou dans la sinistre Mesménie, Fabienne Betting pousse le burlesque jusqu’aux confins de la morale. Cette Mosellane spécialisé­e dans l’imagerie médicale en 3D signe un roman en relief et euphorisan­t qui devrait être vendu sans ordonnance dans les pharmacies. Evitez la Mesménie, mais retenez son nom.

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