Paul Simon : le son des rêves
“STRANGER TO STRANGER”, PAR PAUL SIMON (CONCORD/UNIVERSAL).
Paul Simon était en train d’enregistrer dans son studio du Connecticut son treizième album solo quand il a tout laissé tomber pour mettre le cap sur l’université de Montclair (New Jersey). La raison ? Simon venait consulter le fonds documentaire Harry-Partch. Figure légendaire de la musique américaine, Partch était un compositeur et bricoleur talentueux qui, au début du
e siècle, a mis au point de nombreux instruments de musique, fruit de ses travaux sur les gammes musicales microtonales. L’un des pères de la musique minimaliste, il a conçu par exemple le Chromelodeon (un orgue pneumatique) et les Chambres de nuages (des cloches de verre). Deux créations qui ont tapé dans l’oreille de Simon et que l’on retrouve sur plusieurs titres de cet album placé sous le signe du son. Les onze titres (dont deux instrumentaux) ont été produits avec le concours de Roy Halee, autre figure légendaire qui a travaillé sur les premiers enregistrements de Simon and Garfunkel en 1964 (!).
Une fois de plus, l’auteur de « Graceland » et de « Hearts and Bones » (ses deux meilleurs disques) multiplie les intrusions musicales ( jazz, folk, rock, afrobeat) sans jamais s’emmêler les pinceaux. Il pousse même le plaisir jusqu’à s’o rir la collaboration de Clap ! Clap !, histoire d’apporter une touche de dance music. Le résultat ? Un disque comme on les aime, enregistré et produit au cordeau. Percussions africaines, tambours péruviens, choeurs de gospel, cuivres, synthétiseurs, guitares : ici, tout le monde a sa place, chacune des partitions s’a rmant de manière distincte. Conteur du e siècle, Simon raconte sur fond d’orgue churchy (dans « The Werewolf ») l’histoire du loup-garou qui, devenu ange de la mort, menace de venir nous dévorer tous. S’emparant d’une anecdote (un musicien ne peut pas regagner la salle de concert où il joue car il n’a pas son pass, un bracelet), il prophétise la révolte des SDF et des exclus du grand banquet de la goinfrerie consumériste. Enfin, dans « The Riverbank », il rend hommage à un professeur assassiné lors de la tuerie de Sandy Hook, en décembre 2012. L’un des plus beaux titres est « Stranger to Stranger », mélopée presque sirupeuse où le narrateur demande à son amie : « Si nous nous rencontrions pour la première fois/ Est-ce que cette fois tu pourrais imaginer que nous tombions à nouveau amoureux ? » Est-ce le début d’un autre rêve ? « Stranger to Stranger » nous invite à en pousser les portes.