Araki l’obsédé
ARAKI NOBUYOSHI. JUSQU’AU 5 SEPTEMBRE, MUSÉE NATIONAL DES ARTS ASIATIQUES-GUIMET, PARIS-16E ; 01-56-52-53-00. CATALOGUE GALLIMARD/MNAAG, 304 P., 39,90 EUROS.
Bienvenue dans le monde tumultueux d’Araki ! Attention, attachez vos ceintures, le spectacle peut heurter les sensibilités. Le photographe japonais a en e et un faible pour les liens. Non pas les liens sociaux mais les liens sexuels. Ceux qu’il utilise pour ligoter des jeunes femmes qui acceptent, ainsi ficelées, de prendre des poses acrobatiques devant son objectif. On a rme que cet art du bondage n’a rien à voir avec les pratiques des clubs sado-maso occidentaux puisqu’il est issu de traditions japonaises ancestrales – traditions, au passage, qui étaient surtout appliquées aux prisonniers. Quoi qu’il en soit, ces images, de grand format parfois, dérangent la quiétude d’un Musée Guimet où l’érotisme – qu’il soit indien, chinois, japonais – n’est pourtant pas absent des collections. Mais Araki, et cela change tout, est un artiste contemporain. C’est un fou de photo, un obsédé qui garde toujours à portée de la main un appareil chargé d’une pellicule. Combien a-t-il pris de clichés ? Il l’ignore sans doute. Des dizaines ou des centaines de milliers, probablement. Les plus éloquents ont été publiés par leur auteur dans près de 400 livres. Personnage complexe (il peut dire tout et son contraire), un brin mégalo (il s’autoproclame volontiers génie), Araki est à l’a ût de sa propre existence. Il dit : « Mon corps est un appareil photo. » Au début des années 1970, il commence ce qu’il appelle un « Voyage sentimental », périple bouleversant qui s’ouvre sur sa lune de miel avec son épouse Yoko et se poursuit après le décès de cette dernière, sur les lieux mêmes où le couple a vécu. Nulle nostalgie pourtant dans cette série en noir et blanc : pour Araki, la photographie est à l’image de la vie. Et par conséquent de la mort, de l’absence. Dans une autre série, un « Journal intime », dédié au photographe américain Robert Frank, Araki enfile clichés érotiques et scènes anodines du quotidien. Avec la même obstination, il photographie des ciels, des fleurs écarlates et obscènes, des chats, des femmes encore. En fin de parcours, il a conçu « Tokyo Tombeau » : aujourd’hui miné par la maladie, le septuagénaire (Araki est né en 1940) a composé une sélection de photos anciennes et récentes mêlant natures mortes insolites, paysages urbains, nus féminins. Ses images sont comme des mots, obscènes, drôles, touchants, tel un flux de conscience dont le torrent semble intarissable. Avec Araki, on dirait que la vie ne s’arrête jamais.