ORLANDO ENFLAMME LE DUEL TRUMP/CLINTON
Après la tragédie du Pulse, les outrances du candidat populiste ont choqué jusque dans son camp. Accentuant du même coup le profil très présidentiable de la chef de file démocrate
Le ton a été donné avant même que les corps n’aient été enterrés. A droite, un candidat s’autofélicitant et se vantant d’avoir « eu raison », qui met la tuerie d’Orlando sur le dos de l’immigration incontrôlée et va même jusqu’à insinuer que Barack Obama est impliqué dans le massacre : « Soit il [Obama] ne comprend pas, soit il comprend mieux que tout le monde. » Et de répéter : « Il y a un loup. Il y a un loup. » A gauche, une Hillary Clinton bien plus classique face à une tragédie de ce genre, appelant à l’union nationale et proposant des mesures visant spécifiquement les terroristes isolés, ces lone wolves (« loups solitaires ») qui font désormais trembler l’Amérique… Le pays a beau avoir consommé du Trump depuis un an, la tournure prise par la campagne depuis dimanche est proprement stupéfiante. Sur le papier, cette tragédie avait pourtant tout pour bénéficier à Donald Trump, si l’on peut oser ce mot obscène en pareille circonstance, sans qu’il soit obligé d’abandonner une retenue élémentaire. Les sondages lui donnent régulièrement une avance de plus de 10 points sur Hillary Clinton pour ce qui est de la capacité à lutter contre le terrorisme, et il lui suffisait d’accentuer l’aspect « radicalisme islamique » pour s’allier les 60% d’Américains qui ont une opinion négative de l’islam. Au lieu de quoi, il est parti en vrille dans l’autosatisfaction, ramenant tout à l’immigration en provenance du monde musulman alors qu’Omar Mateen est né dans la même ville que Trump, New York, en… 1986 ! Autrement dit, il a confondu une nouvelle fois la campagne des primaires, où ce genre de propos enflammait les troupes, avec la campagne générale, où le manque de retenue, dans un
contexte aussi grave, peut être perçu comme une incapacité à faire preuve des qualités requises pour un homme d’Etat. « Quelqu’un qui cherche une validation aussi désespérément, au point d’éprouver le besoin de s’autoféliciter après une attaque terroriste, a des problèmes psychologiques qu’il doit résoudre », a lancé Tim Miller, un exconseiller de Bush, résumant le sentiment de beaucoup. Le long discours prononcé par Trump au lendemain d’Orlando mérite qu’on s’y attarde. Il ne parle pas du contrôle des armes, encore moins d’aller combattre Daech sur son terrain – au contraire, Trump affirme que l’aventure américaine au Moyen-Orient a été « un désastre complet et total », ce qui va encore lui valoir des amis dans l’establishment républicain. Au lieu de tout cela, il est revenu de façon obsessionnelle à son discours anti-immigration qui résume de plus en plus sa campagne. Face à la menace terroriste, Trump veut bannir non seulement les réfugiés de Syrie ou d’Afghanistan, mais les ressortissants « de parties du monde où il y a un passé avéré de terrorisme contre les Etats-Unis, l’Europe ou nos alliés ». Mieux : ce n’est pas seulement l’immigration en provenance de pays problématiques qui le préoccupe mais l’immigration tout court, alors que celle-ci est au coeur de l’ADN américain : « Les Etats-Unis ont déjà immigré [sic] quatre fois plus d’immigrants que n’importe quel autre pays au monde. Et nous continuons à en admettre des millions en plus, sans vrai contrôle. Il n’est pas surprenant que les salaires de nos travailleurs n’aient pas bougé depuis bientôt vingt ans. » Il était trop tôt, en début de semaine, pour mesurer l’impact politique d’Orlando. Il n’est pas impossible que, malgré ses outrances, la popularité de Trump remonte.
La réaction d’Hillary Clinton a donné l’image d’une candidate qui est loin d’être sur la défensive. Elle a décidé de faire de l’hostilité à la National Rifle Association (NRA) un élément clé de sa campagne. Ses alliés au Congrès ont d’ailleurs immédiatement relancé une proposition de loi interdisant à quelqu’un figurant sur la liste des personnes suspectes de terrorisme d’acquérir une arme. « Entre février 2004 et décembre 2015, à 2 265 reprises, des terroristes connus ou suspectés ont acheté une arme », a rappelé Dianne Feinstein, sénatrice de Californie. Hillary Clinton a même suggéré de bannir la vente d’armes d’assaut, comme ce fut le cas entre 1994 et 2004.
Une mesure que réclame, entre autres, la mère de Dylan Klebold, l’un des deux adolescents tueurs de Columbine, il y a dix-sept ans : « Je ne peux pas m’empêcher de penser que Dylan et Eric auraient été incapables de prendre autant de vies s’ils n’avaient pas eu un accès aussi facile aux armes », écrivaitelle récemment. L’idée d’interdire les armes d’assaut sera peut-être fraîchement accueillie par les sénateurs démocrates d’Etats conservateurs cherchant à être réélus en 2018, mais il est clair que, dans l’émotion de l’après-Orlando, ce sont les républicains du Congrès qui sont sur la défensive.
Le ton de la campagne présidentielle, en tout cas, est donné jusqu’en novembre : d’un côté, le pyromane brûlant toutes les conventions du « politiquement correct » et qui refuse obstinément l’habit de respectabilité que les républicains cherchent désespérément à lui faire endosser ; de l’autre, la « femme d’Etat » posée, mesurée, en un mot, présidentiable. Le contraste, déjà saisissant, ne fera que s’accentuer jusqu’en novembre, surtout si le pays connaît une nouvelle fusillade de masse, comme c’est statistiquement le plus probable. Cela n’a pas empêché Hillary Clinton de lancer des attaques mordantes et de jouer la carte de l’humour pour ridiculiser Trump sur Twitter. Mais dans un contexte de tragédie, son sérieux fait ressortir, par contraste, le côté clown et « télé-réalité » de Trump. Même dans les heures suivant la pire fusillade de toute l’histoire des Etats-Unis.