Piazza-puzzle
HISTOIRES ET GÉOGRAPHIES, PAR ANTOINE PIAZZA, LA BRUNE AU ROUERGUE, 106 P., 13,50 EUROS.
Voici, à ma connaissance, le seul livre où, le plus naturellement du monde, Samuel Beckett en 2CV croise l’inspecteur Columbo en Peugeot 403, où Fernandel en train voisine avec Céline en maréchal des logis, et le grand Schubert, avec la gentille France Gall. Le seul aussi où, en une petite centaine de pages, on emprunte la passerelle Pierre-Méhaignerie à La Réunion, le goulet de la Croix de Chamrousse où Jean-Claude Killy gagna sa médaille olympique, une piste cyclable dans la grande plaine du Danube, et un ferry dans la gare maritime de Tokushima. On visite également, et avec une même curiosité, Arjeplog, la commune la plus froide de Suède ; Redu, le village belge des livres déserté par ses visiteurs-lecteurs ; le château de Sigmaringen, un temps enclave vichyssoise et résidence collaborationniste, au son de « Poupée de cire, poupée de son » ; et la Seineet-Marne, où Christian de Bartillat élevait autrefois des kangourous et publiait des livres régionalistes. Chemin faisant, on croise le vénérable Robert Marchand (104 ans aujourd’hui), ex-champion cycliste qui continue de pédaler chaque matin sur son vélo d’appartement ; un ancien deuxième ligne de rugby reconverti dans la consommation et la propagation du pastis ; et Josef Mengele, le médecin d’Auschwitz caché au Paraguay, où il tomba malade à force de manger les poils de sa moustache. Vous saurez tout, enfin, de l’eau auvergnate de Châteldon, ou Sergentale, qui fit le bonheur de Louis XIV et la fortune de Pierre Laval, ainsi que de la maison aveyronnaise Raynal & Roquelaure qui inventa, en 1876, le plat cuisiné en conserve. C’est peu dire que ce petit livre diapré et arachnéen – car un fil discret relie certaines histoires entre elles – est une merveille d’émotion, de cocasserie, de causticité et, pour le style, d’élégance. On le doit à Antoine Piazza, le plus globe-trotter des instituteurs sétois, auteur notamment de « Mougaburu », un remarquable roman épistolaire au fil duquel s’écrivent, sous Louis-Philippe, deux anciens généraux de Napoléon ; auteur aussi des « Ronces », un récit d’apprentissage où il raconte comment, nommé au début des années 1980 dans l’école d’un village oublié du Haut Languedoc, il emmenait ses rares élèves apprendre leurs leçons de choses en plein air, et sur la colline. Somme toute, il pratique trente ans plus tard la même pédagogie bucolique avec ces « Histoires et géographies », dont on préconise la lecture à ciel ouvert et, pourquoi pas, à voix haute, dans les premiers parfums de l’été.