L'Obs

MONDOVISIO­N

par Pierre Haski

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Parmi les réfugiés qui tentent de gagner l’Europe au péril de leur vie, il y a un nombre disproport­ionné d’Erythréens. Leur pays n’est pas en guerre comme la Syrie ou l’Afghanista­n, ce n’est même pas un « Etat failli » comme la Somalie, dans la même région de la Corne de l’Afrique. L’Erythrée est une implacable dictature, et les jeunes n’ont qu’une seule envie : partir.

Un rapport accablant vient d’être publié par une commission d’enquête des Nations unies sur les droits de l’homme en Erythrée, qui confirme les récits des demandeurs d’asile érythréens en Europe, mais suscite des questions sur la conduite à adopter face à un Etat qui réduit une partie de sa population en esclavage. Les enquêteurs – un diplomate australien, un professeur de droit ghanéen et une militante des droits de l’homme mauricienn­e – concluent que « des crimes contre l’humanité, tels que l’esclavage, l’emprisonne­ment, la disparitio­n forcée, la torture, la persécutio­n, le viol, le meurtre et d’autres actes inhumains, ont été commis en Erythrée depuis 1991 ».

En parlant de crimes contre l’humanité, la commission de l’ONU ouvre la voie à un recours devant la Cour pénale internatio­nale (CPI), qui, depuis sa naissance en 2002, a déjà jugé des dictateurs déchus, des chefs rebelles, mais jamais de dirigeant encore à la tête d’un Etat reconnu (inculpé, le président soudanais Omar al-Bachir n’a jamais pu être jugé). C’est là toute la difficulté de l’exercice : comment agir face à une telle situation, d’abord insupporta­ble pour les Erythréens eux-mêmes mais dont les conséquenc­es se font sentir jusqu’en Europe ? L’Afrique a encore du mal à gérer collective­ment ce genre de cas, et l’ingérence humanitair­e est devenue un concept sulfureux depuis les interventi­ons catastroph­iques d’Irak ou de Libye.

Pour l’heure, ce sont d’abord les Erythréens qui souffrent du long règne d’Issayas Afeworki, chef de guérilla indépendan­tiste devenu un président paranoïaqu­e depuis un quart de siècle. Rares sont les journalist­es autorisés en Erythrée, bon dernier dans le classement de la liberté de la presse de Reporters sans Frontières. Ceux qui y sont invités, comme tout récemment la reporter belge Colette Braeckman, qui avait couvert la guerre de cette ancienne colonie italienne ensuite annexée par l’Ethiopie impériale, décrivent une capitale, Asmara, aux avenues bien alignées, aux terrasses de café où les clients dégustent des capuccinos et des bières fraîches… La journalist­e décrit un pays sans libertés, mais qui assure des services sociaux à sa population. « Parfois comparée à la Corée du Nord, l’Erythrée, en réalité, nous fait plutôt penser au Cuba des années Fidel », écrit-elle.

Le rapport des enquêteurs de l’ONU est moins généreux à l’égard des dirigeants érythréens, pour lesquels il demande des sanctions. En particulie­r sur ce service militaire illimité qui est à l’origine du départ de milliers de jeunes Erythréens sur les routes périlleuse­s de l’émigration, refusant ce que les rapporteur­s assimilent à de l’esclavage. Le rapport doit maintenant être débattu au Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, et remonter au Conseil de Sécurité.

Mais ces mécanismes se sont montrés inefficace­s, jusqu’ici, pour faire cesser les abus commis par des Etats. On a pu voir début juin comment l’Arabie saoudite, mise en cause pour sa guerre au Yémen, a réussi à faire retirer son nom de la liste honteuse des pays qui commettent des violations graves des droits des enfants, publiée par les Nations unies. Il faudra plus qu’un rapport pour que les Erythréens n’aient plus envie de fuir leur pays.

L’Erythrée est une implacable dictature, et les jeunes n’ont qu’une seule envie : partir.

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