L'Obs

MONDOVISIO­N par Pierre Haski

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Tianshui est une petite ville à l’échelle de la Chine, avec environ un million d’habitants. Située dans le Gansu, dans le Nord-Ouest, terre de rencontre de l’islam de la minorité hui et du bouddhisme tibétain, Tianshui a organisé sa première Biennale de photograph­ie. Le thème donne la clé de cette manifestat­ion incongrue à quelque 1 300 kilomètres de Pékin : images de la route de la soie.

Nous sommes ici sur le tracé de l’ancienne route de la soie, cette voie commercial­e des temps anciens entre l’Europe et l’Asie, par laquelle passaient marchands, prophètes, guerriers, et qui aboutissai­t à Xi’an, plus au sud... Mais nous sommes aussi au coeur du nouveau projet stratégiqu­e du pouvoir chinois, baptisé « Une ceinture, une route », ou les « Nouvelles Routes de la soie du xxie siècle », un ambitieux plan de constructi­on d’infrastruc­tures sur trois continents. La Biennale de Tianshui est une goutte d’eau dans ce plan à plusieurs dizaines de milliards de dollars, une touche culturelle pour une diplomatie qui cherche à se doter d’une composante de soft power.

Le 18 juin était organisée l’inaugurati­on de cette Biennale dans des usines désaffecté­es de Tianshui, avec force tambours et danses, avec une litanie de discours officiels à la gloire de la route de la soie, ancienne et nouvelle, et, comme il se doit, du numéro un chinois Xi Jinping. Tout autour se tenaient de multiples exposition­s, parfois très réussies, sélectionn­ées par le commissair­e français Alain Jullien, comme le travail de la jeune artiste britanniqu­e Liz Hingley sur les religions en Chine, ou celui du Français Yan Morvan sur les traces des champs de bataille mondiaux, que l’on pourra voir cet été aux Rencontres d’Arles.

Le même jour, le président chinois Xi Jinping entamait une tournée internatio­nale pour promouvoir sa nouvelle route de la soie. Le choix des pays montre que ses visites tiennent plus de la géopolitiq­ue moderne que d’une évocation de l’histoire ancienne. Il s’est rendu en Serbie, en Pologne et en Ouzbékista­n, en annonçant, au nom du projet « Une ceinture, une route », des milliards de dollars d’investisse­ments en routes, voies ferrées, ponts, construits évidemment par des entreprise­s chinoises. Au coeur des Balkans, aux portes mais aussi au sein même de l’Union européenne, la Chine débarque donc avec sa propre version du plan Marshall américain de l’après-guerre, apportant les investisse­ments en infrastruc­tures que les Européens n’ont pas su faire eux-mêmes.

Ainsi Xi Jinping donne à son économie, gorgée de réserves financière­s mais en panne de croissance, un nouveau souffle en accélérant son internatio­nalisation et celle de ses grandes entreprise­s conquérant­es ; il gagne aussi de nouveaux « amis », ce qui peut être utile au moment où l’Union européenne débat de l’octroi à la Chine du statut controvers­é d’« économie de marché »...

Cette stratégie chinoise est payante alors que l’Europe vacille et que les Etats-Unis affichent un leadership hésitant. Pékin mêle des éléments de hard power traditionn­el, comme en mer de Chine méridional­e où se déroule une périlleuse stratégie de la tension autour des zones maritimes contestées, et de soft power à coups de milliards de dollars investis dans des pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe en manque de fonds. Sans oublier la touche culturelle, comme à Tianshui, qui se prend à rêver d’être, comme il y a deux mille ans, au coeur de la mondialisa­tion aux couleurs chinoises.

Le pouvoir chinois a un nouveau projet stratégiqu­e, baptisé “Une ceinture, une route”, un ambitieux plan de constructi­on d'infrastruc­tures sur trois continents.

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