L'Obs

LE PARCOURS Notre-Dame-des-Landes, 50 ans de turbulence­s

Alors qu’un référendum pourrait valider ou rejeter la constructi­on d’un aéroport controvers­é, retour sur un projet qui bouscule le bocage depuis 1965

- ARNAUD GONZAGUE

Le 26 juin, les électeurs de Loire-Atlantique pourraient dire oui ou non à la constructi­on d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Et, possibleme­nt, trancher un noeud gordien vieux en réalité d’un demi-siècle. C’est en 1965 en effet que la préfecture nantaise décide qu’un nouvel aéroport doit être édifié pour faire face à l’afflux tant espéré de passagers. L’époque, toute à l’insoucianc­e prédatrice des Trente Glorieuses, prévoit large : ils seront, estime-t-on, pas moins de 6 millions en l’an 2000 (ils sont 3,5 millions aujourd’hui) et le vieil aéroport de Nantes sera saturé dès 1985 (il ne l’est pas encore). En 1970, Notre-Dame-des-Landes, village perdu dans le bocage, est choisi par l’Etat pour accueillir le projet. Mais on a oublié que la lande, ses brumes et ses zones humides, sont habitées. Or, les autochtone­s refusent de donner leurs terres pour en faire le point d’entrée de « la Ruhr du XXIe siècle » (dixit un prospectus de la chambre de commerce). Regroupés dans l’Associatio­n des Exploitant­s concernés par l’Aéroport (Adeca), ils chassent les premiers géomètres débarquant avec leurs outils. En réalité, les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979 sonnent le glas de l’aéroport. Mais en 2000, Jean-Claude Gayssot, ministre des Transports de Lionel Jospin, sort le projet des tiroirs, à la grande satisfacti­on du conseil général, du conseil régional et de la communauté urbaine de Nantes. Une partie des riverains continue, elle, de dire « niet » et crée l’Associatio­n citoyenne intercommu­nale des Population­s concernées par le Projet d’Aéroport (Acipa). Une enquête publique et un débat sont officielle­ment organisés, mais l’Etat a déjà tranché : « Il est inconcevab­le de faire comme si certaines options n’avaient pas été prises », avoue la Commission nationale du Débat public (CNDP) censée pourtant être l’arbitre impartial des discussion­s. En 2006, l’enquête publique conclut que 67% des interrogés disent non… mais l’aéroport verra bien le jour sur les 1 650 hectares de la ZAD (Zone d’Aménagemen­t différé). Sauf que l’année suivante, pour la première fois, des jeunes débarquent sur la lande pour squatter les maisons abandonnée­s par les paysans. Leur présence donne un nouvel élan aux « antiaéropo­rt ». Ecolos, alters, autonomes ou néo-hippies, les nouveaux venus inventent même sur place des pratiques de démocratie directe et de pouvoir sans leader qui inspireron­t plus tard les opposants au barrage de Sivens et ceux de Nuit debout. Mais pas de chance pour eux : en mai 2012, le maire de Nantes Jean-Marc Ayrault, ardent promoteur de l’aéroport, entre à Matignon. Cinq mois plus tard, l’opération César 44 est déclenchée : près de 1 500 policiers débarquent pour évacuer ceux que la presse commence à nommer « les zadistes » : flash-ball, lacrymogèn­es, grenades… Rien n’y fait, les anti sont indélogeab­les et le fiasco de César 44 transforme une bataille d’envergure départemen­tale en un casus belli national. En novembre, entre 30 et 40 000 manifestan­ts défilent sur place contre l’« Ayraultpor­t ». Notre-Damedes-Landes, dépassant les considérat­ions aéronautiq­ues, devient le symbole du refus des grands projets inutiles grignoteur­s de paysages et émetteurs de CO . La France du 2 XXI e siècle est peut-être bien née sur cette lande.

A lire : « Notre-Dame-des-Landes », d’Hervé Kempf, Seuil, 2014.

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