L'Obs

Polars, six dames en noir

Les Américaine­s Cornwell et Higgins Clark, les Nordiques Läckberg et Sigurdardo­ttir, les baronnes Rendell et Orczy vont être le cauchemar de l’été

- FRANÇOIS FORESTIER

Les frangines débarquent en force dans le polar. Ce n’est plus une visite, c’est une razzia. Elles bastonnent, déglinguen­t, éventrent, empoisonne­nt, castagnent aussi bien, sinon mieux, que les mecs. La preuve : toutes les reines du roman policier sont présentes cet été. De Patricia Cornwell à Camilla Läckberg en passant par Ruth Rendell et Mary Higgins Clark, elles sont là, le stylo trempé dans le fiel et l’imaginatio­n teintée de sang. Faute d’aller sur les plages (on nous annonce une météo pourrie en août), on lira ces polardeuse­s.

Commençons par Mary Higgins Clark, 88 ans, qui publie son cinquantiè­me, soixantièm­e livre ? « Le Temps des regrets » tricote deux intrigues, procédé habituel de la dame : entre une journalist­e qui cherche son vrai père et une veuve accusée de meurtre sur son mari gâteux, quel lien ? A vous de trouver. Mary Higgins Clark, depuis 1969, publie un livre par an : la vocation lui est venue sur le tard (elle était hôtesse de l’air), après la mort (naturelle, je précise) de son mari, qui l’a laissée veuve avec cinq enfants. Depuis son premier succès, « la Nuit du renard » (1977), elle a trouvé le filon : cadavres, easy reading, intrigues un peu tordues, vente dans les

aéroports. Bilan : 20 millions d’exemplaire­s écoulés en France, 80 millions de livres aux Etats-Unis et dans le monde, le triple ou le quadruple, on s’y perd.

Vient ensuite Ruth Rendell, devenue baronne Rendell of Babergh par la grâce d’un anoblissem­ent en 1997 qui lui permit de siéger à la Chambre des Lords et de se battre contre les mutilation­s génitales et l’indépendan­ce de l’Ecosse. Morte en mai 2015 à 85 ans, elle continue néanmoins à publier : « Celle qui savait tout » jette d’anciens gamins qui jouaient dans les tunnels en 1994 dans une intrigue contempora­ine, assez a reuse. On trouve, dans ces maudits tunnels, une boîte de biscuits (des cream crackers, bien sûr) avec des mains coupées. By Jove ! que s’est-il passé ? Reine de l’explicatio­n psychologi­que (elle privilégie le « pourquoi ? » sur le « qui ? »), abonnée à son héros l’inspecteur Wexford, Ruth Rendell aime les secrets de famille. De « la Danse de Salomé » (1965) à « l’Analphabèt­e » (1977), elle a été adaptée par Almodóvar (« En chair et en os »), par Claude Miller (« Betty Fisher et autres histoires ») et par François Ozon (« Une nouvelle amie »). Elle a été aussi l’une des premières à aborder le thème de l’homosexual­ité féminine, dès ses débuts en 1964.

Patricia Cornwell, elle, n’a pas hésité à franchir le pas : elle est mariée à Staci Gruber, une neurologue, et, à 60 ans, continue à inventer des intrigues sanglantes – tripes et autopsies – pour son enquêtrice Kay Scarpetta. Celle-ci, dans « Inhumaine », reçoit une vidéo montrant sa nièce Lucy, pourtant morte depuis vingt ans… Lointaine descendant­e de Harriet Beecher Stowe (« la Case de l’oncle Tom »), Patricia Cornwell est arrivée à l’écriture par des chemins détournés : abandonnée par son père à l’âge de 5 ans, confiée au pire bigot des EtatsUnis, le télé-évangélist­e Billy Graham, mariée à un pasteur, elle a fui. C’est en travaillan­t dans un institut médico-légal en Virginie qu’elle a vu la lumière : son premier livre, « Postmortem » (1990), a été un succès, et, depuis, celui-ci ne s’est pas démenti. Au total, avec des titres comme « Et il ne restera que poussière » (1993), « Signe suspect » (2005) ou « Vent de glace » (2013), elle a vendu cent millions de livres, et sa fortune est estimée à autant de millions de dollars. Pour les ventes-signatures, Patricia Cornwell se déplace dans son hélico privé. C’est plus sûr : dans les années 1990, devenue momentaném­ent alcoolique, elle a eu un grave accident de voiture…

A l’autre bout du monde, les dames du Grand Nord font aussi parler d’elles : Camilla Läckberg, Suédoise de 41 ans, publie « le Dompteur de lions », et Yrsa Sigurdardo­ttir, Islandaise de 52 ans, signe « Indésirabl­e ». La première, économiste, surnommée l’« Agatha Christie de Stockholm », imagine une jeune femme nue, en plein hiver, qui se fait percuter par une voiture : elle a les orbites vidées, la langue coupée, les tympans crevés… C’est le neuvième volet des aventures de l’écrivaine Falck et du policier Hedström (et c’est formidable). Quant à Yrsa Sigurdardo­ttir, qui est ingénieure civile dans le civil, elle décrit une enquête menée par l’avocate Gudmundsdo­ttir dans un foyer pour jeunes, fermé depuis longtemps, mais où des gamins ont jadis été asphyxiés dans une voiture…

D’autres ladies viennent s’ajouter à notre liste de lecture : Megan Abbott (« les Ombres de Canyon Arms »), digne héritière des polars des années 1940; Mo Hayder, exbarmaid à Tokyo et hippie en Californie, a publié « Viscères » (c’est la plus douée du lot, avec des titres comme « Birdman », 2000, ou « Proies », 2010); Fred Vargas, dont le dernier livre, « Temps glaciaires », remet en scène le commissair­e Adamsberg, qui s’intéresse désormais à la Révolution française ; Andrea H. Japp, toxicologu­e de métier, qui, depuis vingt ans, se consacre à l’écriture de polars tirés au cordeau, et de romans historique­s d’enfer (« le Fléau de Dieu »)…

Impossible de conclure ce tour d’horizon sans citer Emma Orczy, baronne d’origine hongroise, amie de Liszt et de Wagner, qui publia son premier polar en 1899 et dont les oeuvres viennent d’être rééditées chez Omnibus. Elle immortalis­a sir Percy, dit « le Mouron rouge », aventurier détective du siècle. Dans le premier roman, il entend une femme qui regarde la guillotine et s’exclame : « Nous devons prouver au monde que nous ne sommes pas des gourdes! » C’est chose faite : Patricia Cornwell, Mary Higgins Clark, Ruth Rendell, Camilla Läckberg et Yrsa Sigurdardo­ttir le démontrent, et comment ! Le crime, incontesta­blement, paie.

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La romancière britanniqu­e Ruth Rendell.
 ??  ?? Les Américaine­s Patricia Cornwell…
Les Américaine­s Patricia Cornwell…
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et Mary Higgins Clark.
 ??  ?? La baronne hongroise Orczy.
La baronne hongroise Orczy.
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La Suédoise Camilla Läckberg.
 ??  ?? L’Islandaise Yrsa Sigurdardo­ttir.
L’Islandaise Yrsa Sigurdardo­ttir.

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