L'Obs

Penser petit

Où l’on voit que ça pourrait mal finir

- D. D. T.

Le gouverneur de Tokyo est dans les malheurs. D’abord, il n’est plus gouverneur. Il a dû démissionn­er et il n’y a rien de plus triste que d’être ex-gouverneur quand on voudrait tant gouverner encore. C’est « le Monde » du 17 juin qui nous informait de cette démission. Il s’agit apparemmen­t de manoeuvres politiques dans ce qu’elles ont de pas ragoûtant. Les manoeuvres politiques d’ici nous intéressen­t déjà peu, alors celles des Tokyoïtes, mais un détail a attiré notre attention. On reproche à l’ex-gouverneur son goût pour le luxe. Rien pourtant de plus légitime que l’amour des belles choses et il n’est pas demandé à un gouverneur de vivre comme un clochard mais de prendre garde qu’il n’apparaisse l’avoir satisfait aux trop grands dépens de la collectivi­té. C’est par millions de yens, apprit-on, par centaines de millions, qu’il finançait ses voyages à l’étranger. Rien n’était trop cher pour lui, les vêtures des meilleurs faiseurs, les nourriture­s des plus grands restaurate­urs, les voitures et leurs chauffeurs, les meilleurs sièges dans les avions et sur les trains. Ses dépenses de cette sorte avoisinera­ient les 2 millions d’euros. Connaissez­vous le Conrad Saint-James ? L’article du « Monde » nous enseigne qu’un palace londonien porte ce nom. C’est là qu’il fallait descendre si l’on souhaitait croiser le gouverneur de Tokyo dans le hall d’entrée et lui demander si ça allait bien pour lui dans sa ville. Il vous aurait répondu que ça allait. Aujourd’hui, ça n’irait plus. Une suite dans ce palace, à 3 300 euros la nuit, est mal passée aux yeux du citoyen de base. 3 300 euros ! La nuit ! Ce gus n’est quand même pas l’empereur, pensa le citoyen. Or, des suites à 3 000 euros ou davantage, il en est plein partout, il faut qu’elles se remplissen­t et les empereurs ne courent pas les rues. On voit si le citoyen, pas seulement au Japon, peut finir par penser petit et s’il se fout du sort de la grande hôtellerie internatio­nale. Pourvu que tout ça n’aille pas un jour mal finir.

La vie d’hôtel, ça va un temps. L’envie vient un jour de se poser. C’est comme la prison. Certains, qui y sont allés, vous disent qu’au début on peut y éprouver comme un soulagemen­t. Plus besoin de courir puisque vous avez été rattrapé. Puis l’envie revient de s’envoler. L’idée fixe. Le plus rageant, c’est quand vous êtes milliardai­re. En prison, à part cantiner, recevoir la visite des maîtres du Barreau, vos milliards ne servent à rien. C’est le cas de Reza Zarrab. 32 ans, marié, une petite fille et, donc, milliardai­re. Multi-milliardai­re. La petite famille se rendait à Disney World quand le père a été arrêté par la police américaine. Il a sorti tous ses passeports, l’iranien, le macédonien, le turc et aussi l’azerbaïdja­nais. C’est l’américain, qu’il lui aurait fallu, et il ne lui aurait sans doute pas su non plus. On était au début du printemps, l’été arrive et Reza est toujours en prison, non plus à Miami mais à New York. Des suites à 3 300 dollars et même davantage, ce ne sont pas les hôtels qui manquent, à New York, mais c’est d’un appartemen­t qu’il rêve. Il a fait une propositio­n au juge : pendant que vous instruisez mes trafics et mes blanchimen­ts, je vous verse la caution que vous voudrez, j’ai de quoi, et moi je loue un appartemen­t à Manhattan. Je m’enferme dedans. Je paye les gardes pour me surveiller, l’installati­on de caméras et de micros pour m’espionner. En plus, je vous donne ma parole d’honneur de ne pas m’évader. Si j’essaye, j’autorise qu’on me tire dessus. C’est pas une a aire, là, que je vous mets en mains ? Vous risquez rien et moi je pourrai gérer ma fortune beaucoup plus tranquille­ment que depuis une cellule, je gagnerai de quoi payer une amende comme jamais vue, parce que vous parlez de trente ans de prison, c’est pas raisonnabl­e, c’est les milliards qui font marcher le monde et moi je sais faire. Le juge n’a pas voulu prendre le risque, on voit si ça peut penser petit, un juge, et, qui sait, même finir par se foutre du sort de la finance internatio­nale.

C’est les milliards qui font marcher le monde.

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