L'Obs

“Dire stop et réfléchir !”

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Dans une tribune du « Monde » daté du mardi 14 juin, vous avez appelé à une « pause » dans l’intégratio­n européenne. N’y croyez-vous plus ? Cela fait longtemps que je ne me retrouve plus dans le langage automatiqu­e sur l’Europe, « Il faut plus d’Europe », « il faut un sursaut », « il faut combattre les égoïsmes nationaux ». Je considère que la situation est maintenant gravissime, que les peuples sont en train de décrocher, massivemen­t, notamment à cause de l’intrusion abusive de l’Union européenne dans leur vie. On est parti d’un marché commun, il est devenu marché unique, d’où l’idée de produire des normes, ce qui a été fait de façon « ayatollesq­ue », avec des gens à Bruxelles qui se sont mis à réglemente­r jusqu’au débit des pommeaux de douche… et ont rendu les citoyens euro-allergique­s. L’autre hypothèse de cette défiance, c’est que les citoyens, surtout dans les classes populaires, voient l’Europe comme le cheval de Troie d’une compétitio­n débridée dont ils sont les victimes. Les différente­s explicatio­ns se cumulent. Les gens trouvent l’idée d’Europe sympathiqu­e, ils aiment la libre circulatio­n, ils aiment l’idée que « l’union fait la force ». Ils admettent qu’on puisse faire des choses au niveau européen. Mais petit à petit, ils ont eu le sentiment que les institutio­ns européenne­s « vampirisai­ent » leur identité, leur souveraine­té. Que faut-il faire pour empêcher ce décrochage? Il aurait fallu suivre le principe que Delors proposait, la subsidiari­té, qui veut que la Commission ne doive jamais s’occuper de questions qui seraient mieux traitées par les nations ou les collectivi­tés locales. Il aurait fallu légitimer sa formule de « fédération des Etats-nations ». Il aurait fallu, au lieu d’élargir sans cesse l’Union, fixer une frontière extérieure et clarifier le discours : « Voilà quels sont les pays qui ont vocation à entrer dans l’Europe, et après, on arrête. »

Aujourd’hui, ce que je préconise, pour sauver l’Union européenne, c’est de dégonfler sa partie chimérique pour la reconcentr­er sur l’essentiel, deux ou trois domaines clés. Nous devons renoncer à cette idéologie qui veut créer un peuple européen de gré ou de force et avoir le courage de dire « stop ». C’est ce que j’appelle la « pause » : on regarde, on réfléchit. Si on ne rattrape pas la masse de gens devenus allergique­s, l’Union est morte : elle tournera dans le vide. Les gouverneme­nts doivent définir ce qu’ils veulent faire, entre eux, lors d’une conférence, et sans la Commission et sans le Parlement. Ce serait une façon de dire aux peuples : « On vous a compris », mais aussi : « Il n’empêche qu’on a deux ou trois choses à faire en plus, pas par idéologie européiste, mais parce que c’est nécessaire. » Par exemple : on a besoin de recréer une frontière extérieure. Donc on va articuler une police fédérale et des polices nationales. C’est concret, on en a besoin. En revanche, en ce moment, croire qu’on puisse transférer de nouvelles compétence­s à l’Union est une illusion : un traité allant dans ce sens ne passera pas, politiquem­ent.

L’ancien secrétaire général de l’Elysée sous Mitterrand puis ministre des Affaires étrangères de Jospin plaide pour une remise à plat du projet européen PROPOS RECUEILLIS PAR PASCAL RICHÉ

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