“Nous avions l’ordre de temporiser ”
Céline Berthon, secrétaire générale du Syndicat des Commissaires de la Police nationale, dénonce les critiques émises à l’égard des forces de l’ordre, soumises à rude épreuve
A entendre leurs syndicats, les forces de police seraient épuisées, privées de congés et nerveusement éprouvées. Les commissaires, qui les dirigent, partagent-ils ce diagnostic ? Nous sommes confrontés depuis bientôt deux ans à une accumulation de défis sans précédent. Crise migratoire, menace terroriste, multiplication des opérations de maintien de l’ordre mais aussi niveau significatif de la délinquance quotidienne et complexification croissante de la procédure pénale à force de réformes nombreuses aux impacts mal évalués… le tableau est sombre. Dans quelle mesure la lutte contre le terrorisme entame-t-elle les missions traditionnelles de police? La menace terroriste a tendance à prendre toute la place, et cela aboutit logiquement à abandonner d’autres pans de la criminalité, faute de moyens. Les exemples sont quotidiens. La protection devant un commissariat occupe deux personnes par vacation. Il y a trois vacations par jour. Ce sont autant de patrouilles en moins. Et puis la lutte antiterroriste soumet les services d’enquête et de renseignement à une très forte pression, tandis que l’ensemble des policiers voit, notamment depuis Magnanville, croître les risques liés au métier. Il ne faut pas négliger cette incidence sur l’état d’esprit des familles. Le ministère de l’Intérieur a-t-il sousévalué l’état de préparation des forces de police françaises face aux casseurs et aux hooligans? La concomitance des événements était difficilement prévisible. Mais pour nous, en réalité, le problème est surtout l’incapacité à assumer l’éventualité de dommages collatéraux: il n’existe pas d’acceptation politique et sociétale du fait que lorsque la police rétorque, elle peut blesser. C’est ce qui explique la sidération face aux premières violences. Nous avions l’ordre de « temporiser ». La stratégie de Bernard Cazeneuve est-elle fautive face à la persistance des incidents? Nous ne sommes pas dans le secret des cabinets et des stratégies ministérielles. Nous nous en tenons donc aux faits: les policiers – et à leurs côtés les chefs de police que nous sommes – ont pu avoir le sentiment de faire office de variable d’ajustement d’un bras de fer entre certaines sensibilités politiciennes, des organisations syndicales opposées à la réforme du Code du Travail, et le gouvernement. Le maintien de l’ordre à la française est à revoir? On se gargarise des exemples étrangers, tout en caricaturant le modèle français. Mais on n’imagine pas que les opérations de maintien de l’ordre, ces dernières semaines, ont évolué à une vitesse impressionnante. Les forces en présence doivent passer en quelques minutes d’une situation paisible d’encadrement de masses humaines pacifiques à la gestion de rassemblements où se mêlent manifestants traditionnels et agitateurs professionnels. Que vaut le traditionnel « maintien à distance » quand nous sommes en présence de casseurs galvanisés, qui justifient d’interpeller les fauteurs de troubles de préférence à la traditionnelle « dispersion »? La CGT pose problème au sein des violences de fin de cortège? Ce qui frappe depuis le début de ce mouvement social, c’est l’attitude plus qu’ambiguë adoptée par cette confédération. Pour nous, cette centrale syndicale se livre à une course en avant délétère… Selon vous, dans quel état la police peut-elle sortir de ces crises? La police se sait être un rempart contre la loi de la jungle qui fonde l’arbitraire. Son défi du moment est de parvenir à préserver l’Etat de droit face à tous ceux qui cèdent à la fascination de la violence qui nourrit le chaos, qu’ils soient terroristes islamistes ou casseurs ultraviolents. Nous voulons seulement qu’on nous donne les moyens d’être efficaces au service de la sécurité de tous. Cela passe par des effectifs, quelques réorganisations et une profonde réforme pour redonner du sens et de l’efficacité à la procédure pénale devenue ingérable. Il y a urgence, car il y va de la pérennité de la notion même d’Etat de droit, qui ne saurait s’accommoder durablement d’une impuissance publique.