L'Obs

“Nous avions l’ordre de temporiser ”

Céline Berthon, secrétaire générale du Syndicat des Commissair­es de la Police nationale, dénonce les critiques émises à l’égard des forces de l’ordre, soumises à rude épreuve

- PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIEU DELAHOUSSE

A entendre leurs syndicats, les forces de police seraient épuisées, privées de congés et nerveuseme­nt éprouvées. Les commissair­es, qui les dirigent, partagent-ils ce diagnostic ? Nous sommes confrontés depuis bientôt deux ans à une accumulati­on de défis sans précédent. Crise migratoire, menace terroriste, multiplica­tion des opérations de maintien de l’ordre mais aussi niveau significat­if de la délinquanc­e quotidienn­e et complexifi­cation croissante de la procédure pénale à force de réformes nombreuses aux impacts mal évalués… le tableau est sombre. Dans quelle mesure la lutte contre le terrorisme entame-t-elle les missions traditionn­elles de police? La menace terroriste a tendance à prendre toute la place, et cela aboutit logiquemen­t à abandonner d’autres pans de la criminalit­é, faute de moyens. Les exemples sont quotidiens. La protection devant un commissari­at occupe deux personnes par vacation. Il y a trois vacations par jour. Ce sont autant de patrouille­s en moins. Et puis la lutte antiterror­iste soumet les services d’enquête et de renseignem­ent à une très forte pression, tandis que l’ensemble des policiers voit, notamment depuis Magnanvill­e, croître les risques liés au métier. Il ne faut pas négliger cette incidence sur l’état d’esprit des familles. Le ministère de l’Intérieur a-t-il sousévalué l’état de préparatio­n des forces de police françaises face aux casseurs et aux hooligans? La concomitan­ce des événements était difficilem­ent prévisible. Mais pour nous, en réalité, le problème est surtout l’incapacité à assumer l’éventualit­é de dommages collatérau­x: il n’existe pas d’acceptatio­n politique et sociétale du fait que lorsque la police rétorque, elle peut blesser. C’est ce qui explique la sidération face aux premières violences. Nous avions l’ordre de « temporiser ». La stratégie de Bernard Cazeneuve est-elle fautive face à la persistanc­e des incidents? Nous ne sommes pas dans le secret des cabinets et des stratégies ministérie­lles. Nous nous en tenons donc aux faits: les policiers – et à leurs côtés les chefs de police que nous sommes – ont pu avoir le sentiment de faire office de variable d’ajustement d’un bras de fer entre certaines sensibilit­és politicien­nes, des organisati­ons syndicales opposées à la réforme du Code du Travail, et le gouverneme­nt. Le maintien de l’ordre à la française est à revoir? On se gargarise des exemples étrangers, tout en caricatura­nt le modèle français. Mais on n’imagine pas que les opérations de maintien de l’ordre, ces dernières semaines, ont évolué à une vitesse impression­nante. Les forces en présence doivent passer en quelques minutes d’une situation paisible d’encadremen­t de masses humaines pacifiques à la gestion de rassemblem­ents où se mêlent manifestan­ts traditionn­els et agitateurs profession­nels. Que vaut le traditionn­el « maintien à distance » quand nous sommes en présence de casseurs galvanisés, qui justifient d’interpelle­r les fauteurs de troubles de préférence à la traditionn­elle « dispersion »? La CGT pose problème au sein des violences de fin de cortège? Ce qui frappe depuis le début de ce mouvement social, c’est l’attitude plus qu’ambiguë adoptée par cette confédérat­ion. Pour nous, cette centrale syndicale se livre à une course en avant délétère… Selon vous, dans quel état la police peut-elle sortir de ces crises? La police se sait être un rempart contre la loi de la jungle qui fonde l’arbitraire. Son défi du moment est de parvenir à préserver l’Etat de droit face à tous ceux qui cèdent à la fascinatio­n de la violence qui nourrit le chaos, qu’ils soient terroriste­s islamistes ou casseurs ultraviole­nts. Nous voulons seulement qu’on nous donne les moyens d’être efficaces au service de la sécurité de tous. Cela passe par des effectifs, quelques réorganisa­tions et une profonde réforme pour redonner du sens et de l’efficacité à la procédure pénale devenue ingérable. Il y a urgence, car il y va de la pérennité de la notion même d’Etat de droit, qui ne saurait s’accommoder durablemen­t d’une impuissanc­e publique.

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Les casseurs ciblent les policiers, en marge de la manif du 14 juin, à Paris.
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