Une jeunesse chez Mauriac
CHEZ MAURIAC À MALAGAR, PAR CLAUDE FROIDMONT, LES IMPRESSIONS NOUVELLES, 240 P., 18 EUROS.
Claude Froidmont avait 27 ans, le goût de la philologie romane, la passion des livres et l’appui du tempétueux Henri Guillemin lorsqu’il partit préparer, sans un sou en poche, un DEA sur « le Mystère Frontenac », de François Mauriac, à l’université de Bordeaux. Après avoir grandi à Liège, sa ville natale (Rocourt, plus précisément), dans une famille ouvrière, socialiste et athée, le petit-fils de mineur quitta donc les terrils pour les chais, l’horizon pluvieux pour la lumière rosée du Sud-Ouest, et le pays de la bière des trappistes pour les vignes du Seigneur, plantées au-dessus de la Garonne. Un professeur, qui était son protecteur, proposa au jeune Belge démuni le logement dont, dans ses rêves les plus fous, il n’aurait pas osé rêver : une chambre chez son dieu, à Malagar, et le bureau sur lequel, parfois, André Gide tint son Journal. C’était à la fin des années 1980, juste après la cession, par les fils Jean et Claude Mauriac, du domaine légendaire au conseil général d’Aquitaine. Tout en rédigeant son mémoire, Claude Froidmont fut alors chargé de guider les touristes dans la maison de François Mauriac, de montrer la table où il écrivit « le Noeud de vipères », le salon où était exposé son bonnet de baptême, la terrasse gravillonnée où il travailla à son « Bloc-notes » de « l’Express » et les charmilles qui escortaient l’académicien jusqu’au fameux belvédère d’où il tutoyait, d’une voix de confessionnal, les Landes de son enfance.
On peut lire ce récit autobiographique comme une visite – une de plus – au spectral « grantécrivain » dans sa demeure girondine, et l’on ne sera pas déçu, tant il est plein d’images volées, de parfums puissants, de bruissements d’arbres et de jolis portraits (dont celui du si attachant couple de gardiens). Mais il est beaucoup plus que le vade-mecum d’un cicérone provisoire. Ce que raconte Claude Froidmont, dans une prose émerveillée et avec une mélancolie souvent tempérée par l’humour, c’est la manière dont Malagar l’a fondé, éclairé, élevé, lui a fait connaître « la plénitude », qui est la forme païenne de la béatitude. En dormant chez l’homme qu’il admirait, mais à qui tout, socialement, politiquement, spirituellement, l’opposait, l’étudiant liégeois est vraiment devenu luimême. C’est là qu’il a renoncé à sa vie d’avant, qu’il s’est converti pour toujours à la littérature, cette « exploration de l’inexplorable ». Il lui fallait bien écrire un exercice de gratitude pour payer enfin sa dette à François Mauriac, qui prophétisait : « Même après ma mort, tant qu’il restera un ami de mes livres, Malagar palpitera d’une sourde vie. » Ici, Malagar palpite, on dirait même qu’il frissonne.