L'Obs

LES BONNES MANIÈRES

Les top cantatrice­s

- Par CÉLINE CABOURG

Que penserait aujourd’hui le critique musical G-B Shaw, célèbre dans les premières décennies du siècle pour la rosserie de ses critiques musicales, en voyant le casting des cantatrice­s des prochaines Chorégies d’Orange? Pourrait-il écrire, comme il le faisait dans les gazettes à l’époque : « L’opéra a ceci de bon qu’il procure de l’emploi aux obèses qui ont de la voix » ? Une horreur ! Un siècle plus tard, le journal « le Monde » vantait dans ses colonnes le « génie plastique de Barbara Hannigan » : un titre digne d’un magazine féminin pour un portrait très sérieux sur les qualités vocales de la chanteuse canadienne spécialist­e des opéras contempora­ins, tour à tour qualifiée de « pin-up du lyrique » ou encore de « James Bond Girl » des francs-tireurs de la création. La Parisienne Sabine Devieilhe, la mezzo-soprano américaine Kate Lindsey, la cantatrice à la chevelure auburn Patricia Petibon ou encore la soprano sud-africaine Pumeza Matshikiza ont, parmi beaucoup d’autres, définitive­ment enterré l’image de la chanteuse d’opéra grosse dondon.

Depuis une quinzaine d’années déjà, et sans remonter aux années 1950 et à la cure d’amaigrisse­ment qui fit perdre à la Callas une trentaine de kilos en trois ans, les cantatrice­s façon Castafiore de Tintin ont quitté le devant de la scène. La tendance hypocalori­que s’amplifie même si celles qui ne correspond­ent pas à ces nouveaux canons de beauté continuent à faire entendre leur voix : qu’importe qu’elles soient rebondies comme des chérubins pour peu qu’elles chantent comme des anges.

Les autres portent le flambeau de cette tendance de brindilles à co re. Et ne sont pas toujours bonnes camarades. En 2014, la chanteuse indo-néerlandai­se Danielle de Niese avait fait sensation en interpréta­nt sur scène une nymphe de l’opéra baroque « la Calisto », en body léopard. Soulignant que l’opéra multipliai­t désormais les emprunts aux grands shows de pop music, le « Times » reprenait alors les propos de la cantatrice qui élégamment balançait sur ces sopranos trop enrobées qui, selon elle, détournaie­nt les jeunes de l’opéra. Dix ans plus tôt déjà, une émission de la télé canadienne « Zone libre » avait renvoyé les fortes dans leurs loges, avant leur entrée sur scène, en proclamant que « les grosses chanteuses de 40 ans n’y avaient plus leur place ». Arbitraire ! Outrancier ! Les féministes s’étranglent et montent au créneau pour dénoncer la dictature du physique de ces nouvelles nymphettes de la voix.

En vérité, ces nouveaux canons de beauté de la scène lyrique disent beaucoup de l’évolution des spectacles ces dernières années et du rééquilibr­age des rôles entre les chanteurs, le chef d’orchestre et les metteurs en scène. Plus jeunes qu’autrefois, ce sont désormais ces derniers qui imposent leur esthétique et leurs fantasmes. Le public est lui-même invité à venir voir « la dernière production d’“Aïda” ou de “Faust” », traduisez la dernière mise en scène de ces opéras, bien plus qu’il ne vient écouter tel ou tel artiste à l’a che sauf s’il s’agit du playboy ou de la top model roucoulant­e du moment. L’étape ultime de cette glamourisa­tion lyrique a été franchie il y a trois ans, lorsqu’une « Vocaloid » de 16 ans, Hatsune Miku, chanteuse japonaise 100% digitale, s’est produite sur la scène du Châtelet dans l’opéra virtuel « The End ».

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KATE LINDSEY
 ??  ?? DANIELLE DE NIESE
DANIELLE DE NIESE
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PUMEZA MATSHIKIZA
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SABINE DEVIEILHE
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KATE LINDSEY
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BARBARA HANNIGAN
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HATSUNE MIKU

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