L'Obs

NATIONALIS­ER ?

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« Le Monde » annonçait, le 23 septembre, que vous comptiez briguer la présidence de la République, à l’élection de 1981. Vous n’avez jamais évoqué cette perspectiv­e en public, jusqu’à présent. Vous présentere­z-vous ou ne vous présentere­z-vous pas? J’ai appris, comme vous, ma candidatur­e à l’élection de 1981 en lisant la presse, samedi dernier… Si vous le voulez bien, parlons de ce qui est important aujourd’hui. Nous devons faire du Parti socialiste un très grand parti, fortement implanté dans le pays, et cela autour d’un projet clair. Alors, il sera temps d’envisager une victoire face à Valéry Giscard d’Estaing. Est-ce à dire que, pour vous, Mitterrand reste le meilleur candidat ? Cette question ne peut s’adresser à un homme, quel qu’il soit. C’est au Parti socialiste d’y répondre. Ce sont les militants de notre parti qui désigneron­t le candidat de tous les socialiste­s à l’élection présidenti­elle. […] Mais il y a aussi un autre débat qui tourne autour de vos déclaratio­ns sur la « rupture avec le capitalism­e ». Vous êtes contre, en fait… Pas du tout. Simplement, je refuse que l’on se paie de mots sous la pression du PC. Certains militants de gauche conçoivent souvent la stratégie de rupture comme une étatisatio­n, et confondent les moyens et les objectifs. Retournons aux sources, c’està-dire à la visée initiale du socialisme. Quelle est sa finalité première ? L’abolition du salariat et la maîtrise par les travailleu­rs de leur destin – et donc de leurs entreprise­s. C’est sur cette base que je me suis engagé dans le mouvement socialiste en

1949. Et voilà qu’aujourd’hui un recours systématiq­ue à l’Etat, qui engendre nécessaire­ment un certain arbitraire bureaucrat­ique, est présenté par une partie de la gauche comme la voie conduisant la rupture avec le capitalism­e. De ce point de vue, la bataille des nationalis­ations a été livrée dans la plus grande confusion. Le transfert de propriété à l’Etat ne change pas par luimême la condition des travailleu­rs, qui restent des salariés de l’entreprise. Regardez l’URSS, qui a instauré non pas le socialisme mais un capitalism­e d’Etat. Voulez-vous dire que les nationalis­ations ne sont pas socialiste­s ? Elles ne le sont pas par essence, non. Pas plus qu’elles ne sont marxistes, d’ailleurs. […] L’idée de nationalis­ation est née dans les années 1920 autour d’une école de pensée qu’animait un socialiste belge, Henri de Man. Quand elle a été importée en France, tous les marxistes l’ont condamnée, avec la dernière des violences. Jules Guesde et Maurice Thorez, notamment. Lisez, à ce sujet, certaines pages de « Fils du peuple » de Maurice Thorez. C’est en marxiste, croyez-moi, qu’il réfutait le principe de nationalis­ation. La socialisat­ion des moyens de production, pour Marx, cela n’a rien à voir avec une appropriat­ion étatique renforçant une bureaucrat­ie centrale. Au contraire, ce qu’il avait dans la tête, c’était une société associativ­e, composée de travailleu­rs responsabl­es. Il a d’ailleurs dit à son gendre, Lafargue, qui était très étatiste : « Si tu me comprends comme cela, eh bien je ne suis pas marxiste. »

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