LES BONNES MANIÈRES Cousez, maintenant !
Prendre la haute couture pour ce qu’elle est, un au-delà du luxueux sur mesure, et y voir aussi une modernité, c’est possible
Non, on ne va pas vous refaire le coup du discours lambda sur la haute couture : les petites mains et le rêve (de princesse ?) derrière ces robes. On va plutôt prendre six défilés et regarder ce qu’ils disent de l’« o re » de la mode. Le premier show, c’est celui de Vetements. Des nouveaux dans le calendrier de la couture. Ce défilé dit qu’on est à un tournant. Et le prouve en ayant choisi de « re-mesurer » les basiques de la consommation courante ( jogging, jean, etc.) et de les élever dans les rafales d’air du… démesuré. Tentative assez énergique et pleine d’humour, d’ailleurs, nous lui avons consacré la chronique de « la Mode pour tous » (page 96).
Le second, c’est Christian Dior. La maison vient d’annoncer l’arrivée d’une nouvelle DA, Maria Grazia Chiuri, jusqu’à présent en tandem chez Valentino avec Pierpaolo Piccioli (des surdoués). Or, qu’est-ce qui sort du studio Dior où deux presque gamins, Lucie Meier et Serge Ru eux, assuraient l’intérim ? De la splendeur pure. Le travail minutieux nécessité par ces habits apparemment simples se voit de si délicate façon que ça donne envie d’embrasser ces deux-là et de croire en leur destin. Quelles humaines aventures traversent sans cesse la maison Dior… Tout ça dit une certaine poésie incontrôlable et vivante des hommes et des vêtements, finalement. Même dans des sphères aussi puissantes.
Le troisième, c’est Chanel. Le décor, les ateliers couture du dernier étage de la rue Cambon reconstitués au Grand Palais. Ça dit qu’en couture on coud, et que donc, par voie de conséquence, on peut te faire ce que tu veux. Ça dit que le corps du model, c’est un corps comme un air de flûte – et c’est joli la flûte –, mais que si tu veux on peut te le faire à la guitare. En plus grand. Les couturières souriaient. Ça dit beaucoup ça aussi.
Le quatrième, c’est Armani. Ça dit que le pantalon, pièce fétiche de Giorgio Armani, on n’y pense jamais assez quand il s’agit de « s’habiller ». Comment on place une pince, une taille, comment on entrave un bas, à l’ourlet, cet artisanat se décide sur un corps, un jour. Et un seul homme au monde sait le faire à ce point. C’est cela que ça voulait exprimer.
Le cinquième, c’est Margiela. Ça professe que la folie est nécessaire, que sans elle on va s’emmerder ferme et que moins on aura de liberté vestimentaire, moins on aura de liberté tout court. Est-ce que ça se vendra ? Est-ce la question ? De toute manière, même quand on vend un tee-shirt on ne sait plus trop, alors…
Le sixième, c’est Valentino. Valentino continue de prévenir que, ce soir, c’est costumé. Mais cette créature fort pieuse, sortie d’une Angleterre élisabethaine, est quand même en bottes de cuir. Et ces bottes, Seigneur, ces bottes… Tout le monde est sorti du show en les voulant. Bon, s’il faut le reste avec, ça va douiller, mais qui compte ?!