L'Obs

“C’EST UN SCANDALE SANITAIRE”

Le chef de service en infectiolo­gie de l’hôpital universita­ire RaymondPoi­ncaré de Garches dénonce, depuis des années, le déni de la maladie de Lyme chronique. Pour lui, et pour la centaine de médecins qui lancent un appel à la ministre de la Santé dans “l

- PROPOS RECUEILLIS PAR EMMANUELLE ANIZON BRUNO COUTIER

Le gouverneme­nt annonce un plan d’action national contre la maladie de Lyme. C’est une bonne nouvelle ? C’est un premier pas timide. Toutes ces années, nos entrevues avec le ministère de la Santé ont toujours abouti à un déni de la pathologie. J’espère que ce ne sera pas le cas cette fois. Comment vous êtes-vous intéressé à la maladie de Lyme ? Quand j’ai commencé à travailler à Garches, en 1994, j’ai vu arriver nombre de malades piqués par des tiques lors de leurs promenades dans les grandes forêts de l’Ouest parisien. Les tiques peuvent transmettr­e ce qu’on appelle la maladie de Lyme, due à une bactérie, la borrélie (Borrelia), elle-même souvent accompagné­e d’autres bactéries et de parasites. J’ai soigné ces malades avec trois semaines d’antibiothé­rapie, selon le protocole o ciel, mais beaucoup rechutaien­t. Je voyais bien que ça ne su sait pas. La maladie nécessite des soins plus longs. Ce que j’ai fait. J’ai découvert alors que le corps médical ne voulait absolument pas entendre parler de la chronicité de cette maladie. J’ai été moqué, jusque dans mon propre service. Si les symptômes – articulair­es, cardiologi­ques, neurologiq­ues – reviennent, ce n’est plus du Lyme, on dit que c’est du « post-Lyme » et on envoie les gens en psychiatri­e. C’est ahurissant! Comme si on disait au bout de quinze jours de tuberculos­e : « Vous n’avez plus la tuberculos­e, si vous avez des signes, vous avez peut-être une dépression. » Pourquoi estimez-vous que les tests censés dépister la maladie ne sont pas e caces? En plus de la borrélie responsabl­e de la maladie de Lyme, il existe une vingtaine d’autres espèces de Borrelia. Le test Elisa, étape obligatoir­e pour les médecins français, n’en détecte que trois, avec de plus une proportion élevée de cas où ce test reste négatif malgré la maladie. Et pourtant, s’il est négatif, les médecins français n’ont pas le droit de poursuivre leur exploratio­n, de compléter par un autre test plus précis, comme le Western-Blot. Même si leur patient a des signes cliniques significat­ifs. Les médecins peuvent être poursuivis par l’Assurance-Maladie s’ils le font! Le centre de référence de la borréliose à Strasbourg dit encore aujourd’hui que ce test est fiable à 100%, alors que toutes les publicatio­ns montrent l’inverse! Comment peut-on continuer une telle aberration? Surtout qu’il est prouvé depuis longtemps – ça a été publié dans les plus grandes revues scientifiq­ues – qu’une sérologie peut être négative malgré la présence de la bactérie Borrelia. Aux Etats-Unis, non seulement le médecin est libre de prescrire le WesternBlo­t malgré un Elisa négatif, mais il a même le devoir de dire à son patient qu’un test négatif, quel qu’il soit, n’est pas la preuve qu’il n’est pas infecté! Le sujet divise la communauté médicale. Que répondez-vous aux infec-

tiologues qui disent que Lyme est une maladie fourre-tout ? Je suis d’accord. On ne devrait d’ailleurs pas dire « Lyme » mais « maladies vectoriell­es à tiques ». Le Lyme et les maladies associées donnent des signes cliniques très divers, qui, en plus, peuvent ne se déclarer que des années après. D’où la complexité du diagnostic. Et la nécessité justement d’améliorer les tests! Aujourd’hui, les patients atteints de maladies vectoriell­es à tiques sont renvoyés de service en service, traités pour des pathologie­s qui ne sont pas les leurs: fibromyalg­ie, sclérose en plaques, démence… Je ne vois que ça, des faux diagnostic­s ! Et, pendant ce temps, leurs symptômes s’aggravent. Ce sont des histoires terribles. Certains finissent par se suicider. J’ai sorti des gens de l’asile ou de leur brancard avec un traitement prolongé d’antibiotiq­ues. Ils en étaient arrivés là parce qu’on avait nié leur pathologie. C’est un scandale sanitaire... que le professeur Luc Montagnier, découvreur du VIH, compare à celui du sang contaminé. Vous évoquez carrément une « épidémie » ? Oui, la maladie explose. Les tiques ont toujours existé, on a retrouvé des borrélies dans une momie humaine congelée depuis plus de cinq mille ans. Mais les tiques sont de plus en plus nombreuses et surtout elles sont de plus en plus infectées. Les derniers chiffres américains sont très inquiétant­s : en quelques années, dans les Etats du NordEst, on a noté environ 300% d’augmentati­on du nombre de comtés fortement infestés. En Europe, les données publiées dans Eurosurvei­llance (2011) montrent jusqu’à 350 cas pour 100000 habitants selon les pays: les plus touchés sont la Slovénie, l’Allemagne, l’Autriche et certains pays nordiques. Une autre étude en cours basée sur le nombre de tiques infectées et la fréquence d’érythèmes migrants montre qu’un million de personnes supplément­aires sont touchées chaque année. Et, malgré cela, la France déclare 27000 nouveaux cas par an! C’est ridicule.

Comment expliquez-vous ce déni ? Les raisons sont multiples, je ne veux pas parler de ce qui est hors de mon champ de médecin. Ce que je peux dire, c’est que, outre la complexité du diagnostic et du traitement, c’est un phénomène classique : en cas d’épidémie infectieus­e, les autorités répugnent à reconnaîtr­e l’étendue des dégâts, et leur responsabi­lité. Généraleme­nt, elles s’arc-boutent, jusqu’à ce que les malades les obligent à basculer. Cela a été le cas pour le VIH. Est-ce ce qui est en train de se passer pour Lyme? Des malades portent plainte contre des laboratoir­es, un autre fait une grève de la faim et, hop, le gouverneme­nt annonce précipitam­ment un plan… Il faudra qu’il le mène avec les associatio­ns de patients, en élargissan­t le cercle habituel des experts médicaux. Sinon, rien ne bougera ! Par ailleurs, c’est bien de proposer de revoir les recommanda­tions sur le traitement des formes avancées de la maladie, en saisissant la Haute Autorité de Santé (HAS), mais c’est très long et insuffisan­t : il est urgent de prendre des mesures plus rapides.

Quel type de mesures ? Celles que nous décrivons dans notre appel (voir ci-contre) : mettre en place des tests de diagnostic fiables. Accorder une vraie prise en charge aux malades et arrêter de poursuivre les médecins qui les soignent, créer des unités hospitaliè­res spécialisé­es Lyme, et financer la recherche : jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais réussi à obtenir un euro de subvention pour ce secteur!

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France