L'Obs

AUGSBURG, TERRE PROMISE DES “LYMÉS”

Faute de prise en charge, de plus en plus de Français souffrant de cette maladie vont se faire soigner dans une clinique privée outre-Rhin

- DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE À AUGSBOURG, BÉRÉNICE ROCFORT-GIOVANNI LUKAS BARTH/AFP

C’est un immeuble de bureaux niché au coeur d’un quartier résidentie­l d’Augsbourg, charmante cité bavaroise à une heure de Munich. Il faut s’approcher très près pour distinguer le petit panneau « BCA-Clinic ». Borreliose Centrum Augsburg. Qui aurait pu indiquer aussi « terre promise des malades de Lyme ». En dix ans, cette clinique de jour entièremen­t privée a vu défiler 25 000 patients, à 80% d’origine étrangère. Au dernier étage du bâtiment où s’étend le centre haut de gamme, Suisses, Belges, Suédois, Norvégiens et Français reçoivent un traitement sur-mesure, selon « une approche holistique ». Traduction : on ne soigne pas la maladie, mais le malade dans son ensemble. Dans la salle d’attente lounge aux fauteuils en cuir beige, on coche les cases du formulaire d’entrée en fonction de ses symptômes. Sprays et crochets anti-tiques sont vendus au comptoir. Les curistes déambulent en jogging, avec la même gourde d’eau à la main. Certains, très pâles, se déplacent di cilement, telle cette quinquagén­aire qui sort du sauna infrarouge. Dans la salle de sport, trois femmes pédalent, un masque à oxygène plaqué sur le visage.

Claudine (1), 57 ans, numérologu­e, entame sa troisième semaine ici. Survêtemen­t chic, boucles d’oreilles pendantes, cette Toulousain­e a l’air en forme. « Lorsque je suis arrivée ici, je n’arrivais même pas à porter mon sac à main, j’étais désespérée. » C’est en se renseignan­t sur internet qu’elle a découvert le BCA. « J’ai été piquée en 2013 par une tique, j’ai eu un érythème, puis j’ai fait une péricardit­e, mais le cardiologu­e n’a pas fait le lien. Un médecin à 250 kilomètres de chez moi a accepté de me faire passer les deux tests de dépistage en même temps, Elisa et Western-Blot, qui sont revenus positifs. J’ai pris des antibiotiq­ues, mais pas assez longtemps, cela n’a fait qu’activer les bactéries. En France, personne n’était à l’écoute. Ici, la prise en charge est fabuleuse. » Un jour sur deux, Claudine alterne 2h30 de perfusion d’antibiotiq­ues « naturels, car je n’ai pas supporté les chimiques », et de vitamines. « La première semaine, lorsque j’ai mal réagi, j’étais malgré tout heureuse, car en sécurité. Aujourd’hui, je me sens bien, je peux même faire du sport », dit-elle, tout en exposant son visage à une lampe de luminothér­apie.

Il y a encore un an ou deux, il était rare de croiser un Français ici. Mais en 2015, « le BCA a participé à une conférence organisée par l’associatio­n Lyme sans Frontières, et depuis, un appel sur trois vient de la France », raconte Miriam Leunissen, chargée de communicat­ion. Chemise bleu ciel, voix posée, le Dr Carsten Nicolaus, fondateur du centre, se targue d’être parmi les cinq médecins dans le monde à avoir vu le plus grand nombre de malades de Lyme. « J’ai reçu mon premier cas en 1990. Augsbourg est proche d’une grande forêt où les tiques prolifèren­t. A l’époque, j’avais un cabinet. Au fil des ans, de plus en plus de malades sont venus. J’ai fait des recherches et je me suis aperçu que, en leur donnant des antibiotiq­ues sur une longue durée, ils allaient mieux. Mais, à partir de 2003, le système de santé allemand, confronté à des di cultés financière­s, a commencé à me demander des comptes, car ils estimaient que les remboursem­ents coûtaient trop cher. J’avais le choix entre abandonner le système ou mes patients. J’ai choisi mes patients et j’ai fondé ce centre. Je suis hors système, mais au moins on me laisse travailler. » Outre-Rhin, le protocole o ciel de dépistage est le même qu’en France : test Elisa, puis Western-Blot en cas de réponse positive, le tout remboursé par

la Sécu allemande. Mais, dans les faits, les médecins ont une marge de manoeuvre supérieure, les labos ont le choix entre cinq Western-Blot différents, plus ou moins sensibles selon le fabricant. Et les autres tests non remboursés, tel l’Elispot, peuvent être faits dans tous les labos du pays. Chose impossible en France.

Le BCA propose une batterie de tests non reconnus en France, notamment le Lyme Spot Revised, toute dernière version de l’Elispot, ou test de transforma­tion lymphocyta­ire, réputé pour être le nec plus ultra. Et aussi le très pointu PCR, une analyse de l’ADN, qui n’est utilisé en France que sur les animaux. « Plus j’ai d’informatio­ns sur la maladie et d’éventuelle­s co-infections, mieux j’arrive à la soigner », explique le Dr Nicolaus. Dans le laboratoir­e immaculé, les biologiste­s suivent de près l’évolution de la maladie des patients. Et les cinq médecins n’hésitent pas à proposer des traitement­s antibiotiq­ues sur plusieurs semaines. Sur le mur du couloir qui mène à la salle des perfusions, une mappemonde hérissée de drapeaux rouges indique les zones touchées par Lyme. Au bout, un petit groupe de malades installés dans de confortabl­es sièges feuillette­nt des revues, le bras relié à une poche de liquide. Ils pourront ensuite plonger les pieds dans un bain qui change de couleur en fonction de la substance éliminée: nicotine, calcaire, caféine – « la détoxifica­tion passe par les pieds », explique Céline, employée de la clinique –, s’installer dans un fauteuil qui libère un champ magnétique « pour stimuler l’irrigation du sang » ou bien encore recevoir des ondes de haute fréquence via des électrodes. « Cela dérange les bactéries. »

Des traitement­s pour le moins alternatif­s qui ne font pas sursauter Daniel VieuxFort. A 56 ans, il a fait le voyage depuis Saint-Joseph, en Martinique. « J’ai commencé à être très fatigué en 2014. J’étais chauffeur pour le sous-préfet, je n’arrivais plus à travailler. Moi qui étais sportif, baraqué, je suis passé de 67 à 40 kilos », racontet-il, la tête secouée de spasmes. Le diagnostic tombe: c’est une SLA, une sclérose latérale amyotrophi­que, la maladie dégénérati­ve dont souffre le physicien de génie Stephen Hawking. « Puis ma cousine m’a parlé de la maladie de Lyme et je suis venu ici. Les médecins du BCA m’ont dit que je n’avais pas de SLA, mais Lyme. En sept semaines, j’ai retrouvé mon énergie. J’en veux à la France, qui ne traite pas bien cette maladie. J’aimerais qu’il y ait des cliniques comme celle-ci partout dans le monde. »

Le mieux-être a un coût: pour trois semaines de traitement, Claudine débourse 5250 euros, sans compter l’appartemen­t qu’elle doit louer avec son compagnon. Ni la Sécu, ni sa mutuelle ne lui remboursen­t quoi que ce soit. Les patients allemands ne sont pas mieux lotis: rares sont ceux dont l’assurance privée accepte d’endosser une partie des frais. « Je me bats pour que la forme chronique soit officielle­ment acceptée, afin que bien plus de malades aient accès à ce protocole », explique le Dr Nicolaus, qui forme des praticiens venus de toute l’Allemagne. A terme, le centre aimerait s’étendre dans de nouveaux locaux, pour y installer des lits. Une fois de retour à la maison, le lien avec le BCA n’est pas rompu. Comme les autres malades, Claudine pourra envoyer ses échantillo­ns de sang et être suivie à distance.

“JE SUIS HORS SYSTÈME, MAIS AU MOINS ON ME LAISSE TRAVAILLER.. ” Dr Nicolaus, fondateur de la clinique

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 ??  ?? Le BCA propose des traitement­s alternatif­s non reconnus en France. 80% des patients de la BCA-Clinic sont étrangers. Claudine est venue de Toulouse pour être soignée.
Le BCA propose des traitement­s alternatif­s non reconnus en France. 80% des patients de la BCA-Clinic sont étrangers. Claudine est venue de Toulouse pour être soignée.

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