Vénus beauté
LE PASSAGE DE VÉNUS, PAR ROBERT HASZ, TRADUIT DU HONGROIS PAR CHANTAL PHILIPPE, ÉDITIONS VIVIANE HAMY, 300 P., 22 EUROS.
Nous sommes en plein e siècle. Janos Sajnovics, un jeune jésuite hongrois, a été repéré par ses maîtres, dès son plus jeune âge, pour ses talents de dessinateur. Il parvient sans peine à dessiner une pomme, une poire ou, plus di cile, un état d’âme. Comme l’amour ? Voici Mme Heintz, excitée et rouge comme le ketchup bien-nommé, qui vient justement tenter l’apprenti ecclésiastique, alors qu’il e ectue sa promenade vespérale. Mais c’est à une autre sorte de beauté que le jeune curé confiera finalement son coeur : elle porte le nom de Vénus, qui n’est pas pour rien celui d’une planète car Janos s’est découvert un penchant pour l’astronomie.
Qui eût dit que l’on pût trouver, à l’heure du Brexit, le meilleur tableau qui soit du puzzle européen dans un roman hongrois écrit par un écrivain ex-yougoslave, et dont l’action se déroule en Scandinavie au milieu du
e siècle ? Inspiré de la vie de personnages historiques, « le Passage de Vénus » raconte l’histoire de deux scientifiques : l’un, Maximilien Hell, né en Slovaquie en 1720, jésuite lui aussi, fut directeur de l’observatoire de Vienne. L’autre, Janos Sajnovics, de quelques années plus jeune, lui servit d’assistant lorsque Hell mûrit le projet de partir observer Vénus à l’occasion de ces rarissimes « transits » (on appelle ainsi le passage de la planète entre la Terre et le Soleil) qui se produisirent en 1761 et en 1769. C’est le voyage, épique, pour rallier la Laponie, où Hell espérait avoir une vue imprenable sur Vénus, que relate ce roman. Un livre qui fait songer aux grands récits d’exploration et de conquête, à la manière du « Voyage autour du monde » de Bougainville. C’est que faire route vers la Laponie en passant par le Danemark et la Norvège n’était pas, à l’époque, de tout repos. Les chevaux se cabrent lorsqu’il faut traverser les cours d’eau en crue. Les bandits guettent et le silence des paysages enneigés est un ennemi non moins redoutable. C’est donc un western et un roman d’apprentissage, où le héros se libère peu à peu des croyances établies et découvre les plaisirs du vin et de la vie. Sorti de ses études, Janos voit le monde pour la première fois dérouler sous ses yeux ses paysages sauvages, tandis que la controverse religieuse bat son plein (l’ordre des jésuites est dissous en 1773). Entre manuel philosophique et roman d’aventures, le roman est aussi un passionnant portrait de deux intellectuels du e. Ironie de l’Histoire : c’est moins sur ses observations astronomiques que le nom de Sajnovics passera à la postérité que sur ses travaux sur les langues hongroise et lapone, et son invention de la linguistique comparée.