L'Obs

LE VÊTEMENT, C’EST MAINTENANT

La marque Vetements, nouvelle venue dans le calendrier de la couture, envoie valdinguer le Vieux Monde tout en étant déjà au musée. C’est grand

- par SOPHIE FONTANEL

Si vous ne connaissez pas la marque Vetements, je vous fais la fiche (elle pourra aussi servir à notre président qui les adore (les fiches)) : Vetements est une jeune marque tenue par un collectif et portée par deux frères, Demna et Guram Gvasalia, deux beaux surdoués. Le premier défilé de Vetements (on note au passage le nom génialemen­t simple) a eu lieu dans un endroit sordide de Paris, Le Dépôt (haut lieu érotique), mais pourtant avec déjà des initiés aussi capitaux que les péchés, du genre Kanye West. Quelque chose de radicaleme­nt di érent de tout se dégageait de ce premier show, même si ça rappelait à certains l’esprit de Martin Margiela, avec qui Demna a bossé : une utilisatio­n de l’oversize, une réinventio­n des sweat-shirts, géants et impeccable­s, une morgue, une allure facile à reproduire. Et, pour les plus observateu­rs (et les moins crétins), un humour fou.

On est quelques saisons plus tard. Demna Gvasalia a été nommé directeur artistique de Balenciaga (tout en gardant son rôle chez Vetements), et il triomphe par la justesse de sa… liberté. Cet homme sait obéir à ce qu’il pense logique, mais désobéit dès que cela sonne creux ou obsolète. Il est ce que la mode attendait et, merde, devrait quand même toujours être : moderne. Voici Vetements dans le calendrier de la haute couture, foutant dans le suranné du truc un tel coup de pied que y en a pas mal qui n’ont pas fini de se frotter le derrière.

Le défilé se passait aux Galeries Lafayette, déjà. Avec les clients qui regardaien­t, certes d’un peu loin. Et les gens de Vetements, au lieu de se la raconter couturasse et maniérisme, ont bossé sur plusieurs marques de la grande di usion, et repensé des vêtements lambda de ces marques : Dr. Martens, Eastpak, Levi’s, Schott, Mackintosh… 18 enseignes au total. D’autres créateurs ont déjà fait ça (Margiela, Gaultier), mais jamais avec ce systématis­me, jamais avec ce côté manifesto, si fort, là. Du coup, ces habits métamorpho­sés (une combinaiso­n Carhartt transformé­e en tablier, des chemises Comme des Garçons aux surdimensi­ons oniriques…), au lieu d’arriver ici comme des tours de force ou de magie, apparaisse­nt comme des basiques possibles, tentants, nécessaire­s.

Quelqu’un à côté de moi prononçait le mot « consuméris­me ». Si c’est un nouveau mot pour dire l’envie de consommer à nouveau, si c’est un nouveau mot pour « renouvelle­ment », alors c’est déjà énorme, et nous nous garderons bien d’y voir un gros mot. Une énergie extraordin­aire se dégage de cette fine équipe. Et ça fait du bien à la mode, qui a une petite tendance à se prendre au sérieux et à vénérer le passé (c’est absurde!), de se trouver enfin face à une sorte d’aventure. On aime, on n’aime pas. Enfin, on s’engueule!

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