L'Obs

« Nous sommes des poussières d’étoiles »,

Du Big Bang au projet de colonisati­on de l’espace en passant par la spirituali­té bouddhique, ce découvreur de galaxie nous initie à la “mélodie secrète de l’univers”

- par l’astrophysi­cien Trinh Xuan Thuan

La conquête spatiale revient en force, du côté des agences d’Etat, de la Chine, mais aussi du côté des entreprise­s privées qui multiplien­t les projets futuristes – capsules, villages sur Mars, etc. Vous qui regardez l’espace depuis tantd’années à travers votre télescope, croyezvous que l’on puisse le coloniser ? Si on le veut, oui. Le problème n’est pas technologi­que mais financier. C’est pourquoi je pense qu’étant donné l’état actuel des finances mondiales, ça ne se passera pas dans un futur proche. Les Chinois vont sans doute réussir à leur tour à poser un homme sur la Lune mais après, on ne s’y installera pas de sitôt, ni sur Mars. Bush en parlait déjà il y a des années. On n’en parle plus. La Nasa n’a même plus d’engin de propulsion pour aller sur la Lune. Peut-être, en effet, le privé prendra-t-il le relais. Je vous avoue qu’au début j’étais plutôt sceptique. Pour moi le spatial devait être motivé par un élan national, et non dicté par l’appât du gain. Et puis il y a toujours eu, et il y aura toujours, cette volonté de l’homme d’explorer l’inexploré. Aujourd’hui, sinon peut-être les grandes profondeur­s des océans, tout est connu sur notre planète. On continue donc à reculer la frontière en regardant vers l’espace. Le problème c’est que l’espace est vaste. La Lune est toute proche : elle se trouve à, environ, une seconde-lumière de la Terre. Si on parle de l’étendue du Système solaire, on est déjà à 5 heureslumi­ère. La plus proche galaxie, elle, se trouve à 2,3 millions d'années-lumière… Parlez-nous de cette galaxie que vous avez découverte. Pouvez-vous à ce propos nous expliquer ce que signifie concrèteme­nt « découvrir » une galaxie ? Mon domaine d’étude consiste à comprendre comment se forment les galaxies. La galaxie dont vous parlez, I Zwicky 18, était déjà cataloguée. On savait qu’elle était compacte, qu’elle était « bleue », ce qui signifie qu’elle contenait beaucoup d’étoiles jeunes, et qu’elle était une galaxie naine, une de celles qui s’assemblent, par la gravité, pour former de grandes galaxies, comme la Voie lactée. Au lieu d’avoir des centaines de milliards de soleils, elle possède seulement quelques dizaines de milliards de soleils. Avec le télescope spatial Hubble, j’ai démontré avec un collègue que I Zwicky 18 est une galaxie très jeune. La plupart d’entre elles se sont formées très tôt, environ un milliard d’années après le Big Bang, qui se situe lui il y a environ 13,8 milliards d’années, c’està-dire qu’elles sont âgées de quelque 13 milliards d’années. Par contre, I Zwicky 18 a un âge d’environ seulement un milliard d’années : c’est encore une galaxie bébé, en train de se former. Elle constitue ainsi une sorte de laboratoir­e « local » qui permet d’étudier les processus de formation des premières étoiles et des premières galaxies qui se déroulaien­t dans le premier milliard d’années de l’Univers. Mais ces premières galaxies sont très éloignées et

donc très difficiles à observer, alors que I Zwicky 18 est dans un volume « local » et donc beaucoup plus facile à étudier. Quand vous dites « local », qu’est-ce que cela signifie ? I Zwicky 18 est à environ 60 millions d’annéeslumi­ère. Ce qui veut dire que sa lumière qui arrive aujourd’hui à nos télescopes est partie il y a 60 millions d’années …. C’est fou ! Ça veut dire que durant le temps où l’image de la galaxie arrive, tout a pu changer. La vie, par exemple, a pu apparaître ! Oui, on verra toujours les choses avec un retard, puisque la propagatio­n de la lumière n’est pas instantané­e et qu’il faut du temps pour qu’elle nous parvienne. Cela pose problème pour communique­r avec E.T. A supposer qu’il soit capable d’envoyer des signaux radio intelligen­ts, il faut prendre en considérat­ion le temps que mettra le signal pour nous arriver [les ondes radio voyagent à la vitesse de la lumière, NDLR]. Si E.T. habite une planète à 20 annéeslumi­ère de la Terre, son signal radio mettra vingt ans pour nous parvenir – ce qui, en comptant le temps de la réponse, fait quarante ans. Dans ce cas, le temps de communicat­ion reste à l’échelle d’une vie humaine. Mais pour aller d’un bord à l’autre d’une galaxie, un signal radio mettra 100 000 ans, ce qui fait 200 000 ans pour établir un dialogue ! Cela étant, les astrophysi­ciens sont en train de rechercher la vie en dehors du Système solaire en tentant de repérer des planètes extrasolai­res ayant à peu près la taille de la Terre. Les plus grosses, comme Jupiter, sont gazeuses, et ne peuvent donc pas héberger la vie. Il faut aussi qu’elles soient à côté d’étoiles ni trop chaudes ni trop froides, comme le Soleil. Evidemment, les idées qui guident cette recherche restent, pour l’instant très anthropomo­rphiques car nous sommes la seule forme de vie que nous connaisson­s. C’est la raison pour laquelle il sera tellement important de découvrir d’autres formes de vie dans l’Univers ou même de la vie à l’état primitif, des micro-organismes, dans notre Système solaire. On essaie ! On sait par exemple que sur Mars, dont on voit les lits de fleuves desséchés, de l’eau coulait à flots il y a plus de deux milliards d’années. Or qui dit eau dit vie. Sur Terre, la première cellule de vie est apparue dans l’océan. Sur Mars, l’eau est peut-être en profondeur, alors il faudra creuser. On s’intéresse aussi à Europe, qui est une lune de Jupiter. Là aussi on pense qu’il y a de l’eau, sous 10 kilomètres de glace… Il y a encore Titan, la plus grosse lune de Saturne, et la seule lune du Système solaire à posséder une atmosphère épaisse, un peu comme celle de la Terre primitive… La sonde Huygens, qui s’y est posée en 2005, y a découvert la présence de produits chimiques organiques complexes pouvant mener à des acides aminés, les premières bases de la vie. Peut-être ne découvrira-t-on rien d’autres que des micro-organismes, peut-être la vie sera-t-elle organisée autrement que la nôtre – avec un ADN s’enroulant autrement, par exemple. Quoi qu’il en soit, ce sera une révolution pour la pensée. Pour les Nuits des Etoiles, du 5 au 7 août, beaucoup de gens vont avoir envie de regarder le ciel. Quels conseils leur donnez-vous ? Comment faut-il regarder ? Que faut-il regarder ? La Lune sera proche de son premier quartier à ce moment-là. Si on regarde proche du terminateu­r (la ligne qui sépare l’ombre de la lumière à la surface lunaire) avec des jumelles ou avec un petit télescope, on pourra non seulement y admirer les bassins de lave solidifiée mais aussi les montagnes lunaires que Galilée a découverte­s en 1609 avec sa petite lunette astronomiq­ue. On pourra aussi contempler les planètes : Mars – la planète rouge –, Jupiter dont on peut voir les quatre lunes – quatre points de lumière autour d’elle –, Saturne avec son magnifique système d’an-

“Pour aller d’un bord à l’autre d’une galaxie, un signal radio mettra 100 000 ans, ce qui fait 200 000 ans pour établir un dialogue !”

neaux. Avec un plus grand télescope, on peut regarder aussi Uranus, Neptune, Pluton, puis, plus loin, les nébuleuses, des amas de gaz qui sont en train de s’effondrer sous l’e et de leur gravité pour donner naissance à de nouvelles étoiles – c’est pour cette raison qu’on les appelle des pouponnièr­es d’étoiles…. Vous avez écrit aussi : « Les étoiles sont nos ancêtres. » Qu’est-ce que cela signifie ? L’Univers est parti d’un état extrêmemen­t petit (beaucoup plus petit qu’un atome), chaud et dense. Il y a eu une grande explosion, le Big Bang, mais au début, elle n’a produit que l’hydrogène et l’hélium. Le premier est un élément très simple. Le second un élément très stable. Cela interdit, dans les deux cas, toute possibilit­é de chimie complexe, c’est-à-dire un assemblage d’éléments, qui peuvent ensuite engendrer l’ADN, de la vie… Les éléments plus complexes, qui l’ont permis, sont arrivés avec la création des étoiles, dont les premières se sont formées environ un milliard d’années après le Big Bang. C’est dans le coeur des étoiles en e et et dans les supernovae, explosions d’étoiles massives, que se produit l’alchimie nucléaire qui a engendré tous les autres éléments, carbone, azote, oxygène, argent, or... Donc, à part l’hydrogène et l’hélium, tous les éléments dont nous sommes constitués, comme le sont les bêtes sauvages, les plantes, les roches ou tout ce qui est, ont été faits dans les étoiles. Nous partageons tous la même généalogie cosmique. Nous sommes des poussières d’étoiles. Nous voilà soudain du côté de votre spirituali­té bouddhique, non ? Vous y faites souvent allusion, comme vous vous référez à la tradition confucéenn­e dans laquelle vous avez été élevé, au Vietnam. Par ailleurs toutes vos références scientifiq­ues – les Grecs, Galilée, Kepler, Newton, etc. – sont occidental­es... La science est occidental­e ! Les Chinois ont fait de grandes découverte­s, mais elles ont toujours été empiriques, car ils ne recherchai­ent pas les lois, le mécanisme des choses. L’Orient partait de l’idée que le monde est gouverné par deux forces polaires, le yin et le yang, dont l’interactio­n fait se mouvoir le monde. L’Occident part du concept d’un Dieu qui, ex nihilo, crée le monde, et lui impose des lois. Au début, le but de nombreux scientifiq­ues, comme Kepler ou Newton qui étaient profondéme­nt croyants, était de découvrir les lois du Grand Architecte. Ce concept d’un Dieu créateur a d’ailleurs induit en erreur de grands penseurs, tel Aristote. Ce dernier pensait que Dieu étant au ciel, il avait fait un ciel parfait, qui ne pouvait donc qu’être immuable. Il a fallu attendre jusqu’au siècle pour comprendre que l’Univers, comme je vous l’ai expliqué, est en expansion et donc en évolution constante. Par ailleurs, je crois que le bouddhisme nous met sur des pistes intéressan­tes. C’est pourquoi, moi qui suis un bouddhiste devenu scientifiq­ue, j’ai fait il y a quelques années un livre de dialogue avec Matthieu Ricard (1), un scientifiq­ue devenu bouddhiste. Mais attention ! Je ne cherche nullement à faire du « concordism­e » (2). La science est un domaine en soi, avec ses méthodes à elle, et elle n’a nul besoin de la spirituali­té pour la soutenir, comme, à l’inverse, la spirituali­té n’a pas besoin de la science. Ce sont néanmoins deux fenêtres di érentes pour accéder à une même vérité, à la vérité. Il faut donc bien qu’elles se rencontren­t quelque part ou alors l’une, ou les deux, sont fausses. On trouve au coeur du bouddhisme cette notion de vérité ultime, celle que Bouddha a découverte lors de son Eveil. Pensez-vous qu’on la découvrira un jour ? Après tout, les grandes questions que soulève la science sont les mêmes que celles que posaient les Grecs il y a 2 500 ans. On n’y a toujours pas apporté de réponse. Oui, mais on a avancé ! La vision de l’Univers que l’on a aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celle de l’Antiquité, ou même celle de la Renaissanc­e. On est sorti du géocentris­me, puis on a trouvé que le Soleil luimême n’était pas au centre de la Voie lactée mais qu’il n’était qu’un astre parmi des centaines de milliards d’autres de notre galaxie, et maintenant nous savons que la Voie lactée n’est qu’une galaxie parmi les centaines de milliards d’autres qui peuplent l’Univers observable. Je pense qu’on est dans une approche asymptotiq­ue de la vérité. Va-t-on la découvrir un jour ? Ce sera di cile. L’esprit est fini, l’Univers est infini. Il y a pourtant une certaine mélodie que l’homme perçoit. Elle restera probableme­nt toujours secrète, mais on essaie de la déchi rer peu à peu. C’est le grand défi de la recherche, et ce qui la rend passionnan­te. (1) « L’Infini dans la paume de la main », par Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan, Pocket. (2) Concordism­e : système d’exégèse qui cherche à relire les textes sacrés pour les faire concorder avec les découverte­s scientifiq­ues.

“La science est occidental­e ! Les Chinois ont fait de grandes découverte­s, mais elles ont toujours été empiriques, car ils ne recherchai­ent pas les lois, le mécanisme des choses.”

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M51(NGC5194), connuecomm­ela galaxieduT­ourbillon (imagedutél­escope spatialHub­ble).
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LaVoielact­ée au-dessusdela­vallée deChamonix.
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