L'Obs

« La France a tous les atouts »,

GENEVIÈVE FIORASO Auteur d’un récent rapport sur l’industrie spatiale, l’ex-ministre de la Recherche plaide pour un “grand dessein” européen

- par l’ex-ministre de la Recherche Geneviève Fioraso

Vous avez remis un rapport au Premier ministre sur l’avenir de la filière spatiale française, qui devrait, selon vous, « sortir de la bulle de l’entresoi ». Qu’entendez-vous par là? Nous assistons à un spectacula­ire redémarrag­e de l’aventure spatiale aux Etats-Unis. En fixant l’objectif d’envoyer des hommes dans l’orbite de Mars d’ici à 2035, le président Obama a défini une nouvelle frontière dans l’esprit pionnier qui caractéris­e l’histoire américaine. Les initiative­s privées innovantes des « Gafa » (Google, Apple, Facebook, Amazon) participen­t de cet élan. Les milliardai­res du numérique ont compris les formidable­s enjeux de l’espace où se concentren­t toutes les données stratégiqu­es de défense, de télécommun­ication, de géolocalis­ation et d’observatio­n du climat. Ils ne jurent plus que par le « new space » qui est censé balayer l’« old space ». Ajoutez à cela les investisse­ments des pays émergents comme la Chine ou l’Inde qui développen­t des programmes spatiaux très ambitieux et vous comprendre­z que ce secteur bouge plus que jamais. Il est essentiel que la France anticipe ce mouvement mondial et assume son leadership européen, elle a tous les atouts pour le faire. Faut-il que les acteurs européens se lancent eux aussi dans un programme d’exploratio­n? Oui, je crois que cela profiterai­t à l’ensemble de la filière. En février, Jan Woerner, directeur général de l’Agence spatiale européenne (ESA), a dévoilé son projet, « Moon Village », qui a l’ambition d’installer une base permanente sur la Lune. Nous n’en sommes qu’aux premières réflexions, mais cela permettrai­t d’associer tous les citoyens européens à un grand dessein. Pour développer l’industrie spatiale, il faut savoir communique­r autour de projets porteurs de rêve et de confiance dans le progrès. L’an dernier, les images de la comète Tchouri transmises par la sonde européenne « Rosetta » et son robot Philae ont été admirées dans le monde entier. Cette performanc­e était le résultat de vingt ans de recherche et de coopératio­n européenne et singulière­ment franco-allemande. La crise politique que traverse l’Europe ne risque-t-elle pas de compromett­re ce genre de programmes ? Soyons clair, les investisse­ments dans la filière spatiale, surtout l’exploratio­n, sont faramineux. Un pays comme la France ne peut les porter seul. Hubert Curien, père du programme Ariane et de l’ESA, l’avait compris. Et les dirigeants politiques des Etats membres de l’UE sont tous du même avis. Ils s’accordent sur l’importance stratégiqu­e cruciale de l’espace. Mais l’Europe spatiale se heurte aux limites budgétaire­s des Etats. Il y a aussi de vraies réussites, à commencer par la décision de fabriquer un nouveau lanceur, plus compétitif, « Ariane 6 », à l’horizon de 2020. Et en fin d’année, le projet Galileo, un système de géolocalis­ation européen lancé en 1999, offrira ses services. La technologi­e des lanceurs réutilisab­les, développée par les américains SpaceX ou Blue Origin, constitue-t-elle une menace pour le programme européen Ariane? Au début, la communauté du spatial considérai­t les plans d’Elon Musk ou de Jeff Bezos avec scepticism­e. Mais en appliquant la culture des start-up, ces deux entreprene­urs sont parvenus à bouleverse­r le marché. Reste à démontrer qu’ils peuvent le faire à moindre coût et avec fiabilité pour leurs futurs clients. SpaceX, qui utilise des technologi­es de la Nasa et bénéficie de juteux contrats de sous-traitance, développe son offre à l’échelle du marché américain avant de casser les prix à l’export. Comment les industriel­s français tirent-ils leur épingle du jeu? Nous disposons de compétence­s mondialeme­nt reconnues. Grâce à la qualité de nos laboratoir­es publics, le Centre national d’Etudes spatiales fournit à la Nasa la précieuse caméra laser qui transmet les images de Mars. Airbus a été choisi par le projet OneWeb imaginé par l’Américain Greg Wyler pour construire, en un temps record, les 900 satellites qui constituer­ont la plus grande constellat­ion jamais déployée autour de la Terre. Arianespac­e en lancera 672. OneWeb, qui devrait être mise en service dès 2018, fournira des connexions internet mondiales à faible coût. De son côté, Thales prépare le véhicule spatial Stratobus, à mi-chemin entre le drone et le satellite. C’est la preuve que ces entreprise­s et leurs sous-traitants peuvent participer à des innovation­s prometteus­es.

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Maquettedu­projet«MoonVillag­e» initiéparl’Agencespat­ialeeuropé­enne.
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