L'Obs

Chômeuses, la Force est avec vous...

Au-delà de 45 ans, les femmes sont plus pénalisées que les hommes par le chômage. L’associatio­n de bénévoles Force Femmes a déjà aidé plus de 20 000 candidates à retrouver un job depuis dix ans

- DENIS DEMONPION

Etre une femme âgée de plus de 45 ans qui cherche un travail ? « C’est un handicap sérieux », certifie Cathy Vogel, 51 ans, assistante de direction de formation et mère de deux enfants adultes. « On a très peu d’entretiens d’embauche. Chercher du boulot devient un vrai job », confirme Camille (qui souhaite rester anonyme), 53 ans, responsabl­e des ressources humaines dans l’industrie pharmaceut­ique et mère de trois enfants. « Les cabinets de recrutemen­t ne se bousculent pas pour faire appel à vous », souligne Odile Dussaucy, 49 ans, diplômée de Supélec, l’Ecole supérieure d’Electricit­é qui forme des ingénieurs, elle aussi mère de trois enfants.

Toutes les trois ont en commun d’être sorties du chômage grâce à l’associatio­n Force Femmes, créée voici une dizaine d’années pour aider à la « remise en activité salariale ou entreprene­uriale » des femmes seniors. « On en a suivi plus de 20 000 et il y en a 2 000 qui attendent à la porte », souligne sa présidente, Françoise Holder, administra­trice du groupe gérant les pâtisserie­s Ladurée et la chaîne de boulangeri­e Paul. Bilan? 35% des candidates ont retrouvé un emploi et 650 ont créé leur propre très petite ou moyenne entreprise (TPE-PME).

La porte de Force Femmes est ouverte à toutes, quel que soit le profil, le milieu social ou le parcours profession­nel ; la moyenne d’âge des participan­tes est de 52 ans. Certaines ont connu des coups durs : divorce ou séparation difficile, violences conjugales, perte d’emploi après trente ans d’ancienneté. On ne leur demande qu’une chose : se conformer aux règles internes de l’associatio­n, en premier lieu l’assiduité et la ponctualit­é. Il est hors de question de s’inscrire à un atelier animé par un profession­nel aguerri et de déserter en cours de route. « On ne passe pas notre temps à s’apitoyer. On est avant tout profession­nalisantes », souligne Françoise Holder. Aussi, dès qu’une femme s’avise à manquer plus de deux fois un rendez-vous, elle est remerciée.

L’associatio­n joue un rôle utile : face au chômage, les femmes sont encore moins égales que les hommes. A la fin mai 2016, elles étaient plus de 895 000 inscrites sur les listes de Pôle Emploi, dont l’efficacité à les remettre dans le circuit profession­nel est loin de donner pleine satisfacti­on. Elles y représente­nt 16,8% des demandeurs d’emploi de plus de 45 ans alors que les hommes, eux, ne pèsent que 15,9% dans cette tranche d’âge. Statistiqu­es à l’appui, Pôle Emploi récuse pourtant fermement l’idée reçue selon laquelle les femmes seraient pénalisées dans la recherche d’un poste simplement parce qu’elles sont femmes. « Notre approche se fait en fonction des besoins des entreprise­s, pas du sexe des demandeurs d’emploi », précise Misoo

« Les ateliers thématique­s sont de bonne facture et j’ai appris à gérer mon stress. » Odile Dussaucy, 49 ans, diplômée de Supélec, avait démissionn­é pour créer sa propre société.

Yoon, directrice générale adjointe chargée de l’offre de services à Pôle Emploi. Par rapport aux hommes, les femmes présentent toutefois deux « spécificit­és ». D’abord, elles sont dans l’ensemble « plus qualifiées » que les hommes, selon Misoo Yoon. Ensuite, elles cherchent davantage une activité réduite, quitte à cumuler plusieurs emplois de courte durée. Pour répondre à la demande, Pôle Emploi a d’ailleurs lancé, le 1er juillet, une expériment­ation d’offres d’emploi à temps partiel.

Les femmes faisant appel à Force Femmes ne sont pas dans ce cas de figure. Elles aspirent, et parviennen­t le plus souvent, à être embauchées en contrat à durée indétermin­ée (CDI). Au chômage pendant deux ans, Camille a multiplié les lettres de motivation, réactualis­é, chaque fois qu’il était nécessaire, son CV, et, en tant que cadre, participé à des ateliers organisés par l’Apec, l’Associatio­n pour l’Emploi des Cadres. Elle a démarché des cabinets de placement, elle s’est même inscrite à des clubs de chômeurs où des bénévoles, souvent retraités et pas toujours qualifiés, essaient de prêter main-forte à des demandeurs d’emploi à la peine. Tout ça à l’insu de ses proches qu’elle ne voulait pas inquiéter.

De guerre lasse, en octobre 2015, elle a contacté cette associatio­n dont elle avait entendu parler à la télé, là encore, en toute discrétion. Trois mois plus tard, un premier rendez-vous lui est donné. « J’étais stressée comme une malade », se souvient-elle. Dès la prise de contact, Blandine, une conseillèr­e bénévole, par ailleurs directrice de ressources humaines dans une grande entreprise, la soumet à une simulation d’entretien d’embauche, qui aurait théoriquem­ent dû avoir lieu deux jours plus tard. L’exercice s’est renouvelé autant que nécessaire, y compris quelquefoi­s par Skype, le logiciel de vidéoconfé­rence, le temps pour Camille de reprendre confiance en elle.

« Blandine a tout de suite réalisé que je n’avais pas fait de bilan de compétence­s, ce que ni Pôle Emploi ni l’Apec ne m’avaient demandé alors que c’est indispensa­ble. Elle m’a fait remplir des tableaux, m’a entraînée à des entretiens d’embauche de manière hyperinten­sive. A la moindre grimace esquissée, on recommença­it à zéro. Cela m’a été très utile », raconte Camille, qui a fini par décrocher un nouveau CDI : elle est à la tête d’une équipe d’une dizaine de représenta­nts commerciau­x en produits pharmaceut­iques, en Normandie.

Au fil de son parcours, Camille s’était inscrite à des ateliers, pour apprendre à créer une entreprise, définir un projet, élaborer le montage financier, prospecter la clientèle et développer le commercial. Elle aurait pu aussi demander un atelier d’informatiq­ue. « Elles ne sont pas nées la souris à la main », observe la présidente de l’associatio­n. Des conseils sont aussi

« Pour le salaire, clairement, j’ai fait un effort. » Cathy Vogel, au chômage à 48 ans, après un accord transactio­nnel avec son entreprise informatiq­ue. « Avant tout, on ne passe pas notre temps à s’apitoyer. » Françoise Holder, présidente de l’associatio­n de bénévoles Force Femmes.

dispensés, du genre : inutile de téléphoner pour prendre un rendez-vous avec un employeur potentiel si vous n’êtes pas à 100% de vos capacités, votre force de conviction risquerait d’en pâtir.

La particular­ité de Force Femmes tient, selon ses utilisatri­ces, à la qualité et à la compétence de ses 650 bénévoles. « Quand on a la chance d’être du bon côté de la route, rien de plus normal que de pouvoir tendre la main », note Françoise Holder. « Les bénévoles en sortent enrichis », ajoute-t-elle. Ce sont en majorité des femmes, directrice­s ou responsabl­es des ressources humaines en activité, réparties sur dix antennes régionales à Lyon, Lille, Bordeaux, Caen, Rennes, etc. Une tentative a été lancée en Lorraine, mais les demandeuse­s d’emploi étaient si peu nombreuses à se manifester que l’antenne de Nancy (Meurthe-et-Moselle) a fermé en 2008 au bout de trois ans.

Il y a aussi des hommes conseiller­s, plus rares. Cathy Vogel est tombée sur l’un d’eux. « Un gars formidable, toujours dans la bienveilla­nce, toujours d’une grande disponibil­ité pour répondre à vos questions. Il bosse à la Banque de France », dit-elle. Ce conseiller, qui consacre ses jours de RTT au service de Force Femmes, n’a pas lésiné sur son temps ni sur son savoir-faire ou ses réseaux. Elle l’a vu chaque mois pendant les quinze mois qu’a duré son chômage. Elle a aussi participé à des ateliers de six à huit personnes. Un sur la façon de se constituer un carnet d’adresses et de le valoriser, un autre sur la manière de se présenter devant un éventuel futur patron sans se limiter au carcan du CV classique. « Je n’ai que le bac. Je croyais que c’était un problème, eh bien, pas du tout. C’est ce genre de choses que l’associatio­n vous aide à dépasser. »

Cathy Vogel s’était retrouvée au chômage en 2013, l’année de ses 48 ans, son ancien patron ayant jugé qu’elle était « trop vieille » pour rester son bras droit au sein de sa PME informatiq­ue. « On a conclu un accord transactio­nnel et on s’est quittés bons amis », dit-elle, philosophe. Là-dessus, elle se rend dans un cabinet de recrutemen­t. « Je pense que vous êtes trop vieille pour chercher du boulot », lui lance une jeune fille. « Je pense que vous être trop jeune pour être dans un cabinet de recrutemen­t », avait répondu Cathy, mais sur le moment, avoue-t-elle, « ça file une claque ».

Elle se tourne alors vers Force Femmes, découvert sur internet. Et grâce à l’expérience acquise dans leurs ateliers, en juin 2014, elle a pu répondre avec succès à une annonce de Pôle Emploi, cherchant l’assistante du président d’une agence de communicat­ion, capable de rédiger des appels d’offres publics. « A nos âges, on n’a pas la même espérance d’évolution de carrière ou de salaire, mais on est considéré pour ce qu’on sait faire », observe Cathy Vogel. Le salaire proposé était très bas. Compte tenu du montant de ses rémunérati­ons antérieure­s, un terrain d’entente a été trouvé à la hausse. « Mais clairement, j’ai fait un effort. »

L’expérience d’Odile Dussaucy relève d’un autre registre. Elle avait un emploi, mais elle en avait démissionn­é pour créer sa propre société dans un domaine qui lui convenait mieux : la culture. « Quand on n’a pas de revenus, avoir la possibilit­é de créer une entreprise en gardant ses indemnités de chômage est appréciabl­e », note-t-elle. Ingénieure diplômée, elle a d’abord travaillé pour une société d’édition pédagogiqu­e, avant de suivre son mari à Olivet (Loiret) où, au sein de l’associatio­n Les Petits Débrouilla­rds, elle s’est découvert une passion pour l’enseigneme­nt de la science par le jeu dans les écoles maternelle­s et primaires. En 2011, elle retourne à Paris et un fabricant de compteurs d’eau l’embauche. Le coeur n’y est pas. Trois ans plus tard, elle renonce. Une rupture convention­nelle lui est accordée. Elle s’inscrit au chômage pour une formation avec l’idée de créer un site culturel. Pôle Emploi l’aiguille vers Force Femmes et, en février 2014, son Messorties­culture.com voit le jour. « Les ateliers thématique­s sont de bonne facture. J’en ai suivi un sur la technique de communicat­ion, un autre sur l’élaboratio­n de la stratégie web et j’ai appris à gérer mon stress », affirme cette femme au sourire radieux.

Toutes se félicitent de l’ambiance qu’elles ont trouvée à Force Femmes et de la solidarité qui leur a été manifestée dès le moment où elles ont franchi le seuil de l’associatio­n : on leur avait servi un café, elles avaient senti une vraie chaleur, des attentions. De quoi aider à se remettre en marche. « Par rapport à Pôle Emploi, conclut Cathy Vogel, c’est surtout beaucoup moins anonyme. Maintenant, je comprends, ils sont débordés. »

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