La solitude du roi Netanyahou
Pris dans la spirale des affaires, de plus en plus contesté, prêt à tout pour conserver le pouvoir, le Premier ministre devient un problème pour l’Etat hébreu
L ’arrestation d’Ari Harow, le 14 juillet dernier, à l’instant où il posait le pied à l’aéroport Ben-Gourion, est un bien mauvais présage pour Benyamin Netanyahou. Ce rouquin à la mine juvénile a longtemps occupé un poste clé dans la galaxie du Premier ministre israélien : c’est lui qui, dans les années 2000, organisait les levées de fonds de Netanyahou auprès de ses soutiens américains. Les responsables politiques israéliens ont en effet une faiblesse : leur tropisme pour les magnats de la diaspora juive, qui, trop heureux de s’afficher à leur côté, rechignent rarement à ouvrir en grand leur portefeuille pour les inviter à des conférences luxueusement rémunérées ou donner un coup de pouce à leurs ambitions électorales. Si la plupart de ses prédécesseurs en ont, eux aussi, largement profité, l’actuel chef du gouvernement est réputé être passé maître en la matière. Sans doute trop pour la justice israélienne. Soupçonnant un système d’enrichissement personnel, voire de blanchiment d’argent, elle étudie ces jours-ci la possibilité d’ouvrir une enquête sur les conditions d’obtention de ces dons. Il y a quelques semaines, la révélation des liens entre Benyamin Netanyahou et Arnaud Mimran avait déjà pro- voqué un malaise. Le margoulin français, récemment condamné à huit ans de prison pour son rôle dans l’arnaque à la taxe carbone, a été, au début des années 2000, l’un des bienfaiteurs de Benyamin Netanyahou, alors en pleine traversée du désert, lui prêtant son appartement parisien, finançant ses vacances et lui versant même une somme allant, selon ses versions, de 40 000 dollars à 1 million d’euros. De quoi alimenter la litanie de polémiques sur sa propension à faire payer par d’autres, ou par les deniers publics, ses dépenses personnelles et son goût pour le « bon vivre », comme disent les Israéliens (en français dans le texte). « Il est à la fois hédoniste et radin – pour un homme politique, c’est problématique », résume le journaliste Ben Caspit, qui met la dernière main à une biographie très critique à son égard.
Après dix ans dans le fauteuil de Premier ministre de l’Etat d’Israël, dont sept sans interruption, Benyamin Netanyahou battra le record de longévité de David Ben Gourion s’il n’est pas rattrapé par les affaires avant les élections de 2019. En théorie, rien ne l’empêchera, à 69 ans, de se représenter pour tenter de l’emporter une cinquième fois, mais la dynamique Netanyahou semble s’être enrayée. Il n’a
certes jamais fait l’unanimité, rencontrant même dans son pays comme à l’étranger de sérieuses détestations; mais cet antagonisme était en partie lié à sa fonction et à l’aura sulfureuse de l’Etat hébreu. L’affaire paraît cette fois plus personnelle : et si « Bibi », l’homme, était devenu un problème pour Benyamin Netanyahou, le chef de gouvernement, et par extension pour Israël ?
Ce qui n’était jusqu’à présent qu’une impression diffuse est désormais au centre des débats et des éditoriaux de la presse israélienne depuis la charge dévastatrice de deux de ses anciens ministres de la Défense et proches alliés, Ehoud Barak et Moshe Yaalon. Netanyahou serait tout à la fois « indécis, faible, agité et extrémiste », accuse le premier. Quant au second, il déplore les « fissures de la société israélienne et l’érosion de ses valeurs », dont le Premier ministre serait responsable.
L’analyse classique de la personnalité du chef du gouvernement israélien fait appel à la théorie des « deux Bibi ». Côté pile, le Premier ministre serait doté, de l’avis général, d’une intelligence analytique exceptionnelle et d’une certaine hauteur de vue historique. « Depuis le début de sa carrière, il inscrit son action dans le temps », explique Shabtai Shoval, qui a travaillé pour lui dans les années 1980 avant de devenir son conseiller stratégique. A l’époque, « Terrorisme : comment l’Ouest peut gagner », l’ouvrage dans lequel Benyamin Netanyahou annonçait avec deux décennies d’avance l’émergence du djihadisme, avait fait du jeune diplomate en poste à Washington la coqueluche de l’administration Reagan et des médias américains. « Il était déjà habité par la certitude qu’il était le seul à pouvoir empêcher l’annihilation du peuple juif et d’Israël », assure Shoval. A son crédit, ses soutiens ajoutent également son refus d’engager Tsahal dans des opérations militaires hasardeuses, à la différence de certains de ses prédécesseurs. Depuis son retour aux affaires en 2009, le tableau, d’un
UNE CONSTANTE : UN CYNISME ASSUMÉ DANS LA CONDUITE DES AFFAIRES POLITIQUES.
point de vue israélien, ne se présente d’ailleurs pas trop mal : l’économie tourne à plein régime, la dernière vague d’attaques commises par des Palestiniens semble contenue et les principaux adversaires d’Israël dans la région (Syrie, Hezbollah) sont saignés à blanc par le conflit syrien. La position diplomatique de l’Etat hébreu n’a jamais été aussi bonne, grâce aux liens étroits noués ces dernières années avec des grandes puissances comme la Chine, l’Inde et la Russie aussi bien qu’avec les poids lourds du monde sunnite : l’Egypte et, très discrètement, l’Arabie saoudite. Et même la brouille avec la Turquie, vieille de six ans, vient d’être résolue.
Côté face, c’est moins glorieux. Plus de vingt ans de carrière permettent de dégager une constante : un cynisme assumé dans la conduite des affaires politiques. En témoignent ses manoeuvres, en mai dernier, pour élargir sa coalition. Désireux de limiter l’influence des nationalistes religieux au sein du cabinet, il a d’abord tenté de rallier les travaillistes. Mais quand il s’est révélé que leur leader, Isaac Herzog, ne parviendrait pas à convaincre ses troupes, il s’est tourné sans états d’âme vers le populiste Avigdor Liberman, dont il dit pourtant pis que pendre. Dans un régime parlementaire qui offre un poids démesuré aux petits partis, les renversements d’alliances de ce genre sont monnaie courante. Mais le « magicien », comme le surnomme parfois la presse pour ses talents de manoeuvrier, établissait ainsi un nouveau standard en matière de trahison politique, dotant au passage Israël du cabinet le plus à droite de son histoire.
« Il n’a jamais caché son mépris pour la politique, explique Freddy Eytan, son biographe. Il en fait faute d’avoir pu atteindre l’idéal représenté par son père et son frère. » Le premier, Bentsion Netanyahou, était un historien réputé, spécialiste de l’Inquisition espagnole, que son engagement à droite dans un pays verrouillé par les travaillistes avait contraint à un exil universitaire aux Etats-Unis. Le fils en gardera une certitude : le monde se divise entre « eux » (l’establishment israélien) et « nous » (le clan Netanyahou) ; et par extension, Israël contre le reste du monde. Quant à son frère aîné, Yonathan, sa correspondance publiée après sa mort en 1976, à Entebbe, en Ouganda, à la tête des commandos israéliens, a forgé l’image d’un héros national. A lire ces « Lettres de Yoni Netanyahou », on est frappé par l’insistance avec laquelle il recommande la plus
grande prudence à son cadet, alors jeune conscrit : « Regarde toujours où tu poses le pied. »
Un conseil qui guide aujourd’hui le Premier ministre israélien dans sa gestion du dossier palestinien. Convaincu que le rejet de la souveraineté juive sur Israël par les Arabes est dans la nature des choses, il multiplie les obstacles à la création d’un Etat palestinien. « L’idéologie n’est pas un moteur pour lui, c’est avant tout un pragmatique », affirme pour sa part Moshe Arens, 90 ans. Plusieurs fois ministre de la Défense et des Affaires étrangères, il fut le premier à lui mettre le pied à l’étrier alors que, diplômé du prestigieux MIT (Massachusetts Institut of Technology), il végétait au service marketing d’un fabricant de meubles au début des années 1980. « Pragmatique », Benyamin Netanyahou ? Pas sûr que la communauté internationale partage cet avis. Pessimiste, en tout cas, sûrement.
Les « deux Bibi », le politicien médiocre et le leader avisé, se sont longtemps plus ou moins équilibrés. Après un premier mandat calamiteux entre 1996 et 1999, le Premier ministre était même parvenu à se refaire une réputation en s’entourant de personnalités respectées de la droite israélienne. Un retour en grâce résumé par la une flatteuse que le « Time » américain consacrait au « King Bibi » en 2012. Cela n’a pas duré. Depuis sa large victoire aux élections de mars 2015, pour lesquelles il avait déjoué tous les pronostics en imprimant un ton très à droite aux derniers jours de sa campagne, il semble s’être affranchi de toute pondération. « Depuis ce coup de poker politique qui s’est avéré payant, son hubris s’est libéré, analyse un ancien fidèle. Il semble animé d’un sentiment de toute-puissance. » On note ainsi sa propension à placer des affidés à la tête des rédactions trop critiques, les passe-droits accordés au « Israel Hayom », le quotidien tout à sa gloire financé par le milliardaire américain Sheldon Adelson, la mise en avant permanente de son épouse, la capricieuse Sara, les critiques contre la Cour suprême, sa façon de pointer du doigt la minorité arabe israélienne et, d’une façon générale, une propension à surfer sur l’émergence d’un nationalisme agressif dans l’opinion publique israélienne. Et son soutien au soldat qui avait achevé froidement un assaillant palestinien blessé à Hébron, contre l’avis de l’état-major de Tsahal, renforce le malaise jusque dans son propre camp. Toujours très critique à son égard, la presse israélienne s’inquiète désormais d’une « erdoganisation » de l’Etat hébreu, dressant un parallèle avec la mise au pas de la Turquie par Recep Tayyip Erdogan. Mais la démocratie israélienne possède de solides contre-pouvoirs et la comparaison est sans doute exagérée. Les juges, en particulier, n’hésitent pas à enquêter sur les agissements des responsables politiques ou sécuritaires, les envoyant à l’occasion en prison. Son prédécesseur, Ehoud Olmert, purge actuellement une peine de dix-neuf mois de détention pour corruption. Voilà « Bibi » prévenu.
A Jérusalem, dans « l’aquarium », la partie vitrée du bureau du Premier ministre qui abrite ses plus proches collaborateurs, l’ambiance est désormais morose. Les poids lourds expérimentés qui constituaient sa garde rapprochée sont partis ou ont été renvoyés. Ils ont été remplacés par des membres du cercle familial, dont la trahison est moins à craindre. Autour de la table du conseil des ministres, où il compte plus d’alliés de circonstance que d’amis politiques, ce n’est guère plus réjouissant. « Il est seul, confirme un journaliste qui a récemment reçu un appel furieux du Premier ministre pour avoir suggéré qu’il se préoccupait plus de sa survie politique que du destin de l’Etat juif. Il n’a plus autour de lui de personnes dont il estime l’expérience et les capacités intellectuelles. Les autres, il les méprise. » Dehors, la longue liste des déçus, des trahis, des fâchés et des vexés fourbit ses armes. Moshe Yaalon, son ancien ministre de la Défense qui jusqu’à récemment lui servait de caution sécuritaire, a déjà annoncé qu’il se présenterait contre lui. Et le nom de Gideon Saar, l’étoile montante du Likoud, le parti de droite, est dans tous les esprits. Mais bien malin celui qui parviendra à éjecter Benyamin Netanyahou du marigot politique, où l’on se répète cette blague du président de l’Etat, Reuven Rivlin – autre ennemi intime : « Il paraît qu’on a découvert en Afrique un éléphant dont la peau est plus épaisse que celle de “Bibi”. »