Mélina Robert-Michon, discobole olympique
Comme de nombreux athlètes olympiques, l’ancienne vicechampionne du monde de lancer du disque, en compétition à Rio, reste inconnue du grand public. Très loin du star-système qui prévaut dans de nombreuses disciplines
C’est une grande plaine de jeu, entourée d’hectares de bois plantés après la guerre. De vieux habitués font leur jogging le long des allées de tilleuls. Des files d’enfants se rendent à une Olympiade scolaire en entonnant une version approximative de « la Marseillaise ». Et Mélina Robert-Michon, depuis une bonne heure déjà, fait voler des disques en acier dans l’air pur du petit matin. On peut y voir une danse. Elle parle plutôt d’un geste ample et gracieux. « Les autres “engins”, le poids, le marteau n’offrent pas les mêmes sensations, ils sont plus fermés. »
La jeune femme de 37 ans a été vice-championne du monde de lancer du disque en 2013. Mais aussi notre multiple championne de France – seize titres au compteur, dont un record de France à 66,28 mètres –, ce qui, pour résumer les choses, en fait un phénomène dans le petit monde de l’athlétisme et une parfaite inconnue au-delà. En ce mardi 28 juin, elle prépare dans le parc de Parilly, près de Lyon, ses cinquièmes jeux Olympiques, qui débuteront à Rio le 5 août. Un parc public accessible à tous, sans barrière ni vigile, un peu comme si les Bleus de Didier Deschamps étaient venus réviser leurs gammes avant l’Euro sur les pelouses des Invalides. Aux JO, il y a les Parker, Lavillenie, Riner, ces champions très médiatisés qui « écrivent » leur autobiographie à 25 ans et gèrent leur carrière comme des stars du cinéma ou de la chanson. Mais il y a aussi, à l’image de Mélina, de discrets glaneurs de médailles, sans grande reconnaissance ni rétribution.
Mélina, toutefois, ne « veu[t] pas [s]e plaindre ». Par commodité, elle dispose des clés d’un container posé au milieu du gazon, où elle stocke ses « engins », et de celles d’un petit hangar de tôle où elle peut s’entraîner en hiver quand le froid finit par vous crevasser les mains. Par commodité également, la discobole profite des bons conseils – gratuits – du fidèle Serge Debié, qui repartira tout à l’heure sur son Manitou pour installer des tribunes dans la perspective d’un tournoi de street basket. Serge, la soixantaine bien tassée, est le gardien du parc et… l’entraîneur bénévole de Mélina depuis deux décennies. Enfin, bénévole, plus totalement. Depuis la médaille d’argent de l’athlète aux Championnats du Monde de Moscou de 2013, l’employeur de Serge, le Grand Lyon, lui a permis de consacrer quatre cents heures par an à sa protégée. Un luxe. Avant, il sacrifiait toutes ses vacances et ses RTT pour être à ses côtés lors des stages et des compétitions.
On s’en étonne. Mélina sourit. « L’athlétisme français, ça reste beaucoup de débrouille et peu de moyens. » Une philosophie que n’aurait pas reniée Pierre de Coubertin, le fondateur des jeux Olympiques modernes. Et qui attire, bien souvent, des profils hors normes. A fortiori dans une famille de disciplines – les lancers – où les Français n’ont jamais vraiment brillé. Jusqu’à il y a peu, la seule référence dans le domaine était l’atypique Micheline Ostermeyer, figure tutélaire des lanceuses françaises, qui, en 1948, décrocha trois médailles aux Jeux de Londres (au disque, au poids et à la hauteur), un an après avoir reçu le premier prix de piano du Conservatoire. Notre athlète est un peu moins frêle, mais avec son petit 1,80 mètre et ses 83 kilos sans surcharge ni rondeurs, elle reste un profil à part dans un sport dominé par des Cubaines tout en chair et des baraques allemandes de 1,95 mètre.
Pour expliquer son éclosion, Mélina invoque le plus souvent le hasard, un heureux hasard tombé des monts du Vercors, comme le fatum sortait jadis, implacable, de l’Olympe. « C’est un prof d’athlétisme qui, le premier, a vu en moi un potentiel. Il me répétait que je pourrais faire de grandes choses dans ce sport. Dans la famille, sur le coup, ça nous a bien fait rire. » Les Robert-Michon élevaient des vaches en Isère, cultivaient un goût familial pour la rigueur et les efforts physiques, mais avaient, c’est vrai, les quatre pieds sur terre. Ils n’ont d’ailleurs jamais projeté quoi que ce soit sur la carrière sportive de la petite dernière. « Mes parents m’ont juste accompagnée, autant qu’ils le pouvaient, en donnant beaucoup, mais sans jamais rien exiger. C’était ma passion, pas la leur ».
La culture paysanne est aussi une culture du terroir et de l’indépendance. Notre discobole aurait pu rejoindre l’Insep (1) – cette « usine » avec ses belles installations en plein bois de Vincennes, près de Paris, où l’on place en couveuse les espoirs du sport français. Elle a préféré rester à Lyon, à proximité de ses racines, en choisissant son entraîneur, ses amis et ses études – un master de staps (2) en management du sport. Longtemps, ce choix de carrière a pu paraître peu optimal. Les performances se sont diluées dans le train-train du quotidien – « ça peut sembler étrange, mais on finit par aller à l’entraînement par habitude ». Et puis un jour, à Moscou, en 2013, le succès est venu – tardivement –, validant cette progression à pas lents. Entre-temps, il y a eu une interruption de carrière planifiée pour donner naissance à une
petite fille. Et une prise de distance qui lui a permis de se réapproprier son sport, de repenser sa technique et d’acquérir le petit plus qui fait décoller une carrière. « Avoir un enfant, ça peut être une force en compétition. Tu te dis : “Mince, tous ces stages, toutes ces absences, il ne manquerait plus que j’aie fait tout ça pour rien !” »
A l’âge canonique de 33 ans, alors que la plupart des sportifs commencent à envisager l’après, Mélina Robert-Michon a donc commencé à vivre – correctement – de son métier (voir encadré). Un métier un peu particulier qui ne prend son sens que dans la compétition. La fierté venant autant de la griserie du podium que de la satisfaction du projet réalisé. « Je ne comprends pas la mécanique du dopage : comment peut-on savourer une victoire que l’on n’a pas méritée? Moi, je n’arriverais même pas à lancer tellement je serais terrorisée à l’idée de me faire pincer. »
Dans sa pratique, il est aussi beaucoup question de liberté. Le sport de haut niveau est émancipateur. Il permet une reconnaissance objective des compétences, que n’offre pas la vie en entreprise. Il se moque de la barrière de l’âge – « c’est mon corps qui décidera si je continue, pas ma carte d’identité ». Il casse enfin les clichés de genre. « A 13 ans, je faisais 1,78 mètre, et autour de moi il n’y avait que des “nains”. C’est un âge difficile, et je n’étais pas la plus coordonnée. » Athlète, Mélina a pu enfin assumer ses grands bras dont elle ne savait que faire. Et contribuer à faire évoluer les mentalités. « Les gens sont souvent étonnés quand ils me rencontrent. Ils me disent : “Tiens, on vous imaginait plus balèze!” Ça raconte pas mal de choses sur l’image que l’on se fait des sportives et de la féminité dans ce pays. » L’athlétisme façonne les corps, mais aussi les esprits. Avec le temps, Mélina la discrète est même devenue revendicative. (1) Institut national du Sport, de l’Expertise et de la Performance. (2) Sciences et techniques des activités physiques et sportives.