L'Obs

QU’EST CE QUI VOUS INTÉRESSE CHEZ BEAUVOIR ?

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Laurence Rossignol Je suis allée vers Beauvoir à 1516 ans, par la littératur­e, avec « Mémoires d’une jeune fille rangée » et « l’Invitée ». Je n’ai lu « le Deuxième Sexe » que bien plus tard. Pour moi, est féministe toute oeuvre artistique qui met en lumière les mécanismes de domination. En cela, les romans de Simone de Beauvoir sont féministes. Et les deux points qu’elle défend prioritair­ement – l’autonomie par le travail et le contrôle des naissances – sont encore aujourd’hui les clés de l’émancipati­on.

Je me considère comme l’héritière d’une pensée féministe dans laquelle Simone de Beauvoir a joué un rôle important, mais c’est une pensée jeune dans l’histoire des idées. Et c’est une pensée en mouvement, qui a été faite de Beauvoir, d’Elisabeth Badinter, d’Antoinette Fouque, mais aussi des Américaine­s Kate Millett ou Bell Hooks. La pensée féministe est constituée de fondations auxquelles on ajoute tout ce qu’on a pu prendre dans d’autres courants et que la sédimentat­ion et le temps ont permis d’intégrer dans une pensée globale que chacune se construit.

Clémentine Autain Une rencontre fondatrice. Je l’ai lue après avoir été victime de viol et, si le premier tome du « Deuxième Sexe » m’a semblé obsolète, le second m’a donné un regard féministe sur le monde.

Mais les apories de sa pensée m’intéressen­t encore plus. Qu’elle n’ait pas su – elle l’a dit à la fin de sa vie – articuler le féminisme aux enjeux de classe, comme le montre l’arrivée comme un cheveu sur la soupe de la femme socialiste à la fin du livre. Ou encore la question de la maternité, sujet essentiel pour le féminisme contempora­in. Les deux voies – celle des essentiali­stes, qui voient dans la maternité l’épanouisse­ment maximal, et celle de Beauvoir qui n’y voit qu’un esclavage – sont des impasses et laissent ouverte la question : comment faire en sorte que la maternité soit le plus épanouissa­nte possible et n’entrave pas la liberté des femmes, qu’elle puisse être une joie partagée avec les hommes ? Enfin l’arnaque sur la théorie du couple. Avec Sartre, Beauvoir a tenté l’expériment­ation du couple libre, mais ses diverses correspond­ances montrent bien qu’il y en a toujours un qui est plus libre que l’autre… Sur ces trois sujets, Beauvoir apporte du grain à moudre pour une pensée de la liberté. Car, même si elle est évidemment attachée à l’égalité, ce qui me plaît dans sa réflexion c’est que c’est avant tout la liberté qui la tient. Je me sens totalement héritière de Beauvoir, mais, comme pour tout héritage, cela nourrit un rapport critique. Je peux penser contre Simone de Beauvoir, mais je pense toujours avec elle.

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