Les vacances de M. Bernard
VACANCES SURPRISES, PAR MARC BERNARD, FINITUDE, 160 P., 15,50 EUROS. MARC BERNARD, PAR STÉPHANE BONNEFOI, LE MURMURE, 230 P., 20 EUROS.
Il trouve, aux marchepieds des trains espagnols, une étroitesse et une hauteur qui forcent à l’exploit. Il admire, en Galice, la passion que mettent les lavandières à tordre, savonner, battre le linge et à lui arracher sa propre chemise : « Ce qui les intéressait en moi, c’étaient mes taches. » A Salamanque, ce sont les « limpiabotas » qui se jettent sur lui, ou plutôt s’agenouillent pour cirer, brosser, crémer, briquer ses chaussures. Lesquelles émettent alors, de plaisir, des trilles de rossignol. Au Portugal, il juge les gens foncièrement honnêtes et volontiers voleurs. En Angleterre, où il ra ole du « thé shakespearien », il n’ose pas marcher sur l’herbe, tellement elle est propre et bien peignée. A Tanger, il classe les femmes en trois catégories : les timides, qui sont voilées ; les presque émancipées, qui montrent leur nez ; et les pas farouches, qui laissent tomber le haïk sur la gorge. Dans tous ses voyages, il est accompagné par sa femme adorée, Else (une juive autrichienne qui a fui l’Anschluss) et, à chaque retour à Paris, il est accueilli par Mme Hortense, la concierge qui recueille ses premières impressions et, en échange, l’informe des faits et gestes de l’immeuble. Après quoi, il reprend ses pérégrinations dans la capitale, où il s’initie au judo, fréquente de préférence « les économiquement faibles », et s’émeut de voir des familles habiter des roulottes à Nanterre.
Ce pérégrin s’appelle Marc Bernard (1900-1983) et « Vacances surprises » rassemble les chroniques vagabondes qu’il donna, à la fin des années 1950, au « Figaro ». Une manière idéale, parce que légère, mutine, délicieusement démodée, de découvrir l’auteur de « Pareils à des enfants », prix Goncourt 1942, à qui Stéphane Bonnefoi vient de consacrer une vibrante et filiale biographie. Nîmois, fils d’une mère lavandière et d’un père assassiné en Amérique dans une mine d’or, Marc Bernard, cet ouvrier communiste qui fut accueilli à bras ouverts, en 1929, par Jean Paulhan à la NRF, une « caverne de bourgeois », écrivit toujours à hauteur d’homme et sans jamais se hausser du col. Il ne s’est jamais mieux défini que dans ce mot adressé à Paulhan, en 1965 : « Ne retire pas aux gens modestes l’envie de dire ce qu’ils ont dans le coeur, même s’ils le font maladroitement, ça les purge. » Le romancier prolétarien et polémiste engagé des débuts devint, sur son grand âge, un écrivain panthéiste qui célébrait la beauté d’Else, sa bien-aimée disparue avant lui, et celle de l’île de Majorque, où la nature est à la fois « éblouissante » et « e rayante ». Il est mort, à Nîmes, pareil à un enfant, dans l’appartement d’un ami médecin, qui portait le beau nom de Paradis.