L'Obs

Seize Roumains dans un appart

SIERANEVAD­A, PAR CRISTI PUIU. COMÉDIE DRAMATIQUE ROUMAINE, AVEC MIMI BRANESCU, BOGDAN DUMITRACHE, DANA DOGARU (2H53).

- PASCAL MÉRIGEAU

Cela pourrait constituer un exercice (probableme­nt assez vain) pour les élèves d’un cours de cinéma : entasser jusqu’à seize personnes dans un appartemen­t de dimensions modestes et les filmer plus de deux heures durant sans qu’aucune ne s’avise jamais de la présence d’une caméra. « Plus de deux heures » et non pas « près de trois », bien que la chose dure 2h53 précisémen­t, puisque « Sieranevad­a » commence dans une voiture engluée dans les embouteill­ages de Bucarest, au matin du 10 janvier 2015. Trois jours, donc, après l’attentat contre « Charlie Hebdo » (mentionné dans le film) et quarante jours après la mort d’Emil Mirica : sa veuve a réuni ses soeurs et ses enfants, selon une tradition orthodoxe, pour que l’âme du défunt trouve la paix. Passant d’une pièce à l’autre, d’une situation à une scène, la caméra sillonne sans relâche l’appartemen­t, surprenant la tante qui pleurniche (son mari la trompe sans discontinu­er), le fils qui a choisi ce jour pour o rir à sa mère un vélo d’appartemen­t, les conversati­ons des enfants et celles des parents, l’arrivée du pope et de ses servants, la préparatio­n et le service du repas. Révéler que personne ne touchera aux mets ne risque pas de contrarier le suspense : dans « Sieranevad­a », de suspense il n’y a pas. Cette particular­ité constitue d’ailleurs l’élément qui distingue le nouveau film de Cristi Puiu de son chef-d’oeuvre, l’extraordin­aire « Mort de Dante Lazarescu » (2005), où le spectateur, du début à la fin, se demandait si le vieil homme s’en tirerait. Rien de tel ici. Rien, si ce n’est la volonté d’un cinéaste virtuose qui jongle avec les comporteme­nts et les mots des uns et des autres, les dépeint à loisir comme émouvants, drôles, touchants ou ridicules, sans pourtant réussir à évacuer le sentiment qu’à ses yeux l’exercice de style se su t presque à lui-même. Ce n’est pas tout à fait vrai pour le spectateur, qui ne doit pas davantage se demander ce que le titre signifie, Cristi Puiu ayant répondu à Cannes que « Sieranevad­a » ne veut rien dire, et qu’il ne lui déplaît pas que l’on se pose la question des avoir pourquoi« siera » avec uns eul«r»…A cela non plus, il n’y a pas de réponse.

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Mimi Branescu et Catalina Moga.

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