Comment Sarkozy truque son bilan
Pour tenter de revenir dans la course, l’ex-chef de l’Etat, qui vient de déclarer sa candidature, n’hésite pas à réécrire l’histoire de son quinquennat. Inventaire revu et corrigé sur la sécurité, l’économie et la Libye
Juré, craché, Nicolas Sarkozy ne ment pas (plus?) aux Français. Lui qui pourfend le quinquennat de François Hollande, fondé selon lui sur « le mensonge », a procédé à l’inventaire de son quinquennat, dans « la France pour la vie », publié en janvier dernier. « Je veux vous dire, sans façon, sans artifice, ce que j’ai vraiment fait », écrivait-il. Dans son nouveau livre, « Tout pour la France » (Plon), où il officialise sa troisième candidature à l’Elysée, l’ancien président n’a plus qu’une exigence à la bouche : « Je souhaite que la campagne de 2017 soit celle de la vérité. » Mais dit-il vraiment toute la vérité, rien que la vérité sur son bilan ? « L’Obs » est revenu sur les paroles et les actes de ce phénix de la politique.
SÉCURITÉ “PAS UN SEUL ATTENTAT EN FRANCE”?
« Entre 2002 et 2011, j’étais en charge de la sécurité des Français, il n’y a pas eu un seul attentat en France », affirme Nicolas Sarkozy sur Europe1, le 2 décembre 2015. Le messageest clair: lui seul serait capable d’assurer la sécurité des Français menacés par le terrorisme quand la gauche, accuse-t-il, serait « tétanisée par la barbarie ». Certes, la France n’a pas connu d’attaques terroristes à répétition sous son quinquennat, mais, volontairement ou non, Nicolas Sarkozy oublie ce jour-là de mentionner les tueries perpétrées par Mohamed Merah à Toulouse et Montauban en 2012. Cet homme avait abattu trois militaires, puis quatre personnes de confession juive dont trois enfants. De nombreuses failles dans la surveillance du terroriste avaient éclaté au grand jour après sa mort. Fiché S par les services de renseignement, Mohamed Merah avait pu effectuer de nombreux voyages en Afghanistan et au Pakistan, alors que sa radicalisation était avérée. Il n’avait pas été interpellé à son retour. Il avait même réussi à berner la DCRI qui avait un temps envisagé de le recruter…
Que dire par ailleurs de sa décision de diminuer les effectifs de la police et de la gendarmerie en ne remplaçant qu’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ? « Nous étions dans un autre contexte. Depuis, nous sommes entrés en guerre avec la Syrie. La menace terroriste a explosé. Le nombre de jeunes Français partis faire le djihad a explosé », se défend Sarkozy. Qui n’hésite pas à tordre les chiffres : « Si les effectifs tels que je les ai laissés ne convenaient pas à M. Hollande, pourquoi n’a-t-il pas corrigé cela depuis quatre ans ? » A l’appui de sa démonstration, les calculs de la Cour des Comptes, qui fait état d’une diminution de 868 policiers et gendarmes entre 2012 et 2015. Sauf que l’ancien président ne tient pas compte des suppressions de postes décidées sous son quinquennat mais effectives seulement en 2012 (3 500 suppressions de postes cette année-là) et en 2013. Il n’intègre pas non plus les changements de périmètre : chaque année, des forces de sécurité sont affectées à des missions extérieures (dans les prisons, les centrales nucléaires, la Banque de France…). Dans un communiqué commun et courroucé, Bernard Cazeneuve et Manuel Valls ont répliqué à l’ancien chef de l’Etat qui les accusait de ne pas en faire assez: « Nous répondons d’abord par une mobilisation totale de nos forces, dont nous rehaussons les effectifs – 9 000 emplois de policiers et de gendarmes recréés sur l’ensemble du quinquennat, dont 1900 pour renforcer le renseignement intérieur, quand 12500 avaient été supprimés entre 2007 et 2012. » Des chiffres qu’il conviendra également de vérifier en 2017 !
Autre « boulet » accroché au bilan de l’ancien président : la suppression des RG (renseignements généraux, dépendants de la police nationale). Nicolas Sarkozy s’en est défendu dans une interview au « Monde » datée du 27 juillet : « J’ai supprimé les renseignements généraux sur la partie politique et syndicale de leur recherche. En aucun cas sur l’information générale et, bien évidemment, pas sur le volet terroriste. J’ai bouleversé des habitudes nauséabondes qui faisaient des renseignements généraux une source de scandale permanent. C’était une police de renseignement politique et syndical à laquelle j’ai mis un terme, et j’en suis fier. » Oui. Mais en mettant un terme à certaines activités discutables des RG, il a bien supprimé en même temps le seul service chargé de surveiller le « bas du spectre » en matière de terrorisme, jargon utilisé pour désigner les personnes susceptibles de représenter une menace à long terme. La disparition de ce service a mis un coup d’arrêt à une tradition reposant sur le « renseignement humain », proche du terrain.
Le nouveau service créé sous son quinquennat, la DCRI (Direction centrale du Renseignement intérieur), était uniquement chargé de surveiller le « haut du spectre » en matière de terrorisme. « Le reste du renseignement intérieur a ainsi été réduit à un simple service d’information générale, en charge – pour l’essentiel – des phénomènes économiques et sociaux, ainsi que de la surveillance du hooliganisme, déplore la PlaceBeauvau. L’accès aux principaux fichiers de police lui était même interdit. »
ÉCONOMIE, EMPLOI MIEUX QUE LA MOYENNE EUROPÉENNE, VRAIMENT?
« Pendant les cinq années de mon quinquennat, nous avons fait mieux en termes de chômage, de déficit et de dette que la moyenne des pays européens, c’est la vérité », assure Nicolas Sarkozy sur Europe1, le 9 juin dernier, insistant sur le contexte, « la pire crise depuis 1929 ». Habile présentation : elle laisse penser qu’il s’est finalement bien débrouillé, alors que sur les trois tableaux qu’il évoque ses résultats sont généralement considérés comme piteux : à la fin de son quinquennat, les rangs des chômeurs (de catégorie A) comptaient 800 000 personnes de plus, alors que le président avait promis le plein-emploi ; les déficits publics ont salement dérapé, malgré l’austérité engagée pour les contenir ; la dette publique a explosé (+600 milliards d’euros).
Prendre pour point de comparaison la « moyenne européenne », sur cette difficile période 2007-2012, est sans grand risque : celle-ci a été plombée par la descente aux enfers de plusieurs pays, frappés de plein fouet par la crise et les mesures d’austérité qui leur ont été imposées: Grèce, Espagne, Italie, Irlande, Portugal… Ainsi, selon les chiffres d’Eurostat, le chômage a grimpé de 1,6 point sous Sarkozy (passant de 8,1% à 9,7% de la population active), performance plus honorable que celle de « la moyenne des pays européens » (+3,2 points). Même chose pour les déficits publics, qui sont passés en France de 2,3% du PIB en 2007 à 4,8% en 2012 : c’est mieux que la hausse moyenne des déficits des pays de l’UE, passés de 0,9% à 4,3% du PIB. Enfin, l’augmentation de la dette publique a été en France très légèrement moins forte que la moyenne européenne (+25 points de PIB pour la France, +26 points pour l’UE)…
Nicolas Sarkozy se garde évidemment de comparer les chiffres français à ceux de l’Allemagne : le tableau serait bien moins riant. Outre-Rhin, le chômage a reculé entre mai 2007 et mai 2012 de 3,2 points, et le déficit a été ramené à zéro… Sur la croissance, l’ancien président pousse la mauvaise foi plus loin. Le 30 juin, sur RTL, il se livre à une comparaison des taux de croissance sous son mandat et sous celui de François Hollande. « Depuis 2012, il n’y a pas eu une année où la croissance française n’est pas inférieure à la croissance de l’Union européenne », assène-t-il. Ce qui sous-entend que, sous son mandat à lui, elle était fréquemment supérieure à la moyenne. Or, dans les deux cas, c’est faux : sous François Hollande, à deux reprises, la croissance française a dépassé celle de l’UE : en 2012 et en 2013. Sous Nicolas Sarkozy, à trois reprises, la France a connu une croissance inférieure à celle de l’Union européenne : en 2007, en 2008 et en 2010.
Enfin, l’ex-président ne manque pas d’aplomb lorsqu’il évoque la politique fiscale de son successeur. Dans « les Echos » du 3 février dernier, il accuse Hollande d’avoir fait subir au pays « un choc fiscal de 50 milliards d’euros d’augmentation d’impôts et des charges », omettant de préciser que le choc avait commencé sous son mandat : à partir de 2011, une trentaine de milliards d’euros d’augmentation d’impôts et de charges ont en effet été décidés par le gouvernement Fillon. Il promet désormais, s’il est élu, un « contre-choc fiscal », avec notamment une baisse de 10% de l’impôt sur le revenu des Français dès juillet 2017.
LIBYE TOUT EST DE LA FAUTE DE HOLLANDE?
« Ceux qui me reprochent l’intervention en Libye ont la réponse avec la Syrie. Puisque la Syrie, c’est exactement la politique inverse de la Libye : celle où on refuse d’intervenir. On voit le résultat : Daech, AlQaida, toujours Bachar al-Assad, et l’opposition modérée très affaiblie. Un grand chelem ! » Le fier-à-bras qui avait lancé, en mars 2011, ses avions de chasse dans le ciel libyen pour empêcher l’écrasement de la rébellion de Benghazi par les troupes de Mouammar Kadhafi s’est mué en donneur de leçons dans cette interview publiée le 16 juin dernier dans six journaux européens. Pas un mot sur le fait qu’il a, de fait, relégitimé ces deux dictateurs à l’époque où ils étaient relégués au ban de la communauté internationale. On oublierait presque en effet que Kadhafi avait planté sa tente en 2007 dans le parc de l’hôtel Marigny et que Bachar al-Assad avait été accueilli en grande pompe, le 14 juillet 2008, à la tribune officielle du défilé militaire. Pas un mot non plus sur le désastre causé par l’intervention militaire en Libye.
Cinq ans après la visite triomphale de Nicolas Sarkozy et de David Cameron à Benghazi, le 15 septembre 2011, pour y célébrer la « Libye libre », le pays a sombré dans le chaos. L’effondrement de l’Etat dans ce vaste territoire riche en pétrole que se disputent des dizaines de milices rivales et deux gouvernements concurrents, l’un à Tripoli dans l’Ouest, l’autre à Tobrouk dans l’Est, a fait le lit de l’Etat islamique qui y a établi sa base arrière. La chute de Kadhafi a déstabilisé aussi tout le Sahel, où se sont éparpillés des combattants lourdement armés que le « Guide » maintenait sous son contrôle (notamment au Mali, contraignant la France à inter-
venir en 2013), et l’Europe, avec une vague migratoire sans précédent. Aujourd’hui, la Libye est devenue une telle poudrière que les puissances occidentales, dont la France, sont de retour militairement: elles mènent des opérations secrètes tandis que les Américains ont repris les bombardements aériens.
Certes, l’intervention franco-britannique de 2011, décidée par Sarkozy sous l’influence de Bernard-Henri Lévy, avait été conduite par l’Otan avec l’aval de l’ONU, et avait été soutenue par l’opposition socialiste française. Mais les raids aériens ont outrepassé le mandat onusien en provoquant la chute puis la mort du chef d’Etat libyen le 20 octobre 2011. Sans que rien ne soit envisagé par Paris et Londres pour préparer l’après-Kadhafi, qui promettait pourtant déjà d’être compliqué. Barack Obama lui-même a fait son mea culpa au printemps dernier, confiant à Fox News que sa « pire erreur aura probablement été de n’avoir pas mis en place un plan pour “l’après” ». Dans une autre interview à « The Atlantic », il tapait aussi un peu sur ses partenaires: « J’étais convaincu que les Européens – étant donné la proximité de la Libye – seraient plus impliqués dans le suivi », avec une mention spéciale pour notre ex-président qui « voulait claironner ses succès dans la campagne aérienne alors que nous avions détruit toutes les défenses antiaériennes ». Sarkozy, lui, ne le voit pas du tout de cette façon. « La Libye a été libérée. Des élections générales ont eu lieu en juillet 2012, les modérés l’ont emporté. J’ai quitté l’Elysée en mai 2012. Qu’est-ce qui s’est passé après ? On a laissé tomber la Libye », proclamait-il dans « le Parisien » en septembre 2015. Tout est donc de la faute de François Hollande.