LES TOQUÉS DE L’ASSIETTE (3/4)
Les viandards
Longtemps, la France fut le pays du boeuf bourguignon, de la blanquette de veau et du rosbif du dimanche. Puis il y eut la traque au cholestérol, la crise de la vache folle, le scandale des lasagnes au cheval, les recommandations alarmantes de l’OMS classant la viande rouge comme « probablement cancérogène », les images cauchemardesques tournées dans les abattoirs… Et, désormais, tout le monde regarde son steak de travers. Tout le monde? Non! Car d’irréductibles amateurs de barbaque résistent encore et toujours à la déferlante d’açai bowls et d’avocado toasts. « Pour une entrecôte d’angus bien persillée, je serais prêt à traverser Paris. Et ma fille de 2 ans ra ole déjà des boulettes de boeuf que je lui mitonne », confie Jérémy. S’ils sont décriés, les accros à la bidoche comme ce trentenaire n’ont pas rangé les couteaux pour autant. « On observe une nette baisse de la consommation de viande depuis les années 1975-80, souligne le sociologue Jean-Pierre Corbeau, président de l’Institut européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation. Mais une petite frange des consommateurs choisit de se faire plaisir avec de la bonne viande. »
Les adeptes du tartare et du faux-filet ne sont pas sourds aux récriminations qu’ils font naître et privilégient la viande bien élevée, sourcée et… pas donnée: moins, mais mieux, tel est leur credo. « Quand tu achètes du filet de boeuf à 70 euros le kilo chez Yves-Marie Le Bourdonnec, tu t’en souviens longtemps, s’amuse Jérémy. Pour le plaisir incroyable, et pour la facture ! » Les pièces du célèbre boucher, aux côtés de celles d’Hugo Desnoyer, font figure de Graal pour les viandards.
Tout a commencé au tournant des années 2010 avec la folie des burgers qui s’est emparée de la France. Aujourd’hui, la tendance est plutôt aux viandes fumées ou grillées au feu de bois, comme dans les steakhouses américains, et on peut même prendre des cours chez le roi du barbecue, Weber, à Issy-les-Moulineaux.
Ce que les amateurs recherchent avant tout dans la viande, c’est le persillé, ce gras intramusculaire qui marbre la chair et fond à la cuisson pour un goût sans égal. D’où leur préférence pour les races exotiques, quand les races françaises sont réputées plus maigres: simmental de Bavière, black angus d’Ecosse ou des EtatsUnis, boeuf argentin ou le top du top, le wagyu, cette espèce japonaise choyée à la musique classique, aux massages et à la bière, et qui peut atteindre 300 euros le kilo. Le snobisme ultime ? La maturation, cette opération qui consiste à laisser la viande s’a ner des semaines voire des mois pour que le collagène fonde et que le fameux gras pénètre dans la chair. A la clé, une tendreté et des saveurs décuplées. Mais tout le monde n’est pas aussi patient. Et depuis février trône devant la boucherie L’Ami Txulette (Paris 12e) un distributeur automatique de viande. Pour ceux qui ne peuvent pas résister au subit appel de la bavette en pleine nuit.