L'Obs

ISLAM ET SOCIÉTÉ

Burkini, le débat piégé

- DOAN BUI VALENTINE VERMEIL

Sur son compte Instagram, Asma Fares fait défiler les photos de son burkini très « fashion », bonnet décoré qui laisse la nuque découverte – « Certains sont complèteme­nt couvrants mais je préfère ce modèle » –, jupette avec liseré brillant assorti sur le long legging : « Là, c’est mon burkini doré, mais j’en ai un deuxième, noir avec des motifs. » Depuis la polémique, ses burkinis sont restés au sec : Asma, qui habite près de Marseille, redoute de retourner à la plage : « Avec ce qui s’est passé en Corse, j’ai peur. Vous vous rendez compte : ils ont dit que c’était comme un uniforme de terroriste! Mais moi, je ne fais de mal à personne, je veux juste vivre tranquille ! » Asma s’est voilée en 2010, elle avait alors 31 ans. Elle est aujourd’hui une des blogueuses voilées stars du Net, avec 200 000 abonnés qui suivent ses « tutos hijab » (sur la manière de nouer le foulard) et ses leçons de maquillage. « On peut être coquette et suivre sa religion ! » Dans ses placards, Asma a gardé ses maillots d’avant, « mais j’ai toujours été pudique, je me baignais avec un paréo en plus ». Quand elle a mis son voile, elle a « logiquemen­t » décidé de « [se] couvrir à la mer ». « Les premiers étés, je me baignais habillée. C’était vraiment galère. Et puis je me suis acheté un burkini il y a deux ans. C’est tellement mieux : c’est un tissu genre maillot, comme les combinaiso­ns de plongée ou les tee-shirts anti-UV, en fait. » Dans les piscines, c’est plus compliqué. « Dans certains établissem­ents, le burkini est refusé, et dans d’autres, même si tu ne te baignes pas, tu dois te mettre en maillot pour accompagne­r les enfants. Du coup, je ne peux plus aller à la piscine avec ma fille. » Alors, quand Asma a vu cet été sur Facebook l’annonce de l’événement organisé par Smile 13, une associatio­n qui avait privatisé un parc aquatique près de Marseille pour une « journée burkini », elle a tout de suite acheté des tickets : « Et puis il y a eu la polémique, et l’événement a été interdit ! J’ai été si déçue. On dirait qu’ils veulent qu’on disparaiss­e! »

A Marseille, contrairem­ent à Cannes ou à Cap-d’Ail, les burkinis n’ont pas été interdits. Sur la plage de Corbières, ils se comptent sur les doigts d’une main, mais on les remarque distinctem­ent, petites taches sombres isolées dans l’océan coloré des bikinis, maillots et paréos. Bon, parfois, les tenues peuvent prêter à confusion. Cette femme, par exemple, qui prend un cours de paddle, tout en noir : burkini ou combinaiso­n de planchiste ? « Moi, la première fois que j’en ai vu un, c’était il y a trois ans. Je me suis demandé : “Mais pourquoi cette femme est-elle habillée en plongeur ?” dit Cherif, la soixantain­e, Marseillai­s d’origine algérienne. Je trouve ça pas bien, car elles se font remarquer. En France, il faut faire comme les Français. » Roselyne, son amie, marseillai­se elle aussi, qui ne sort jamais sans son bikini rose dans son sac, soupire : « C’est triste quand même, pour elles. Elles doivent avoir chaud. On revient comme au début du siècle, quand les femmes se baignaient en costume. Et puis ça m’énerve car les hommes, eux, peuvent se mettre en maillot. Tranquille­s. » Roselyne et Cherif pensent en revanche qu’interdire le burkini est ridicule : « C’est leur donner de l’importance. Et ça échauffe les esprits, on n’a pas besoin de ça. » Marguerite, 80 ans, trouve ça également absurde. « Je préfère qu’elles se baignent en burkini, plutôt qu’encombrées dans leurs voiles, les malheureus­es. » Il fait très chaud en cette miaoût, et Hanane, venue du Jura avec ses enfants, transpire à grosses gouttes sous son voile. « Moi, je ne me baigne pas, du coup, c’est dur toute la journée au soleil. C’est vrai que ça a l’air bien, ces burkinis. Je devrais peut-être en acheter un. » Elle est venue voir sa soeur. « Elle non plus ne se baigne pas, en fait, elle ne va jamais à la plage. » La fille de sa soeur est là sur la plage. A 14 ans, elle porte un tee-shirt et un short sur son maillot. Les filles d’Hanane, plus jeunes, courent, toutes bronzées, en culotte : « Elles sont petites, elles profitent. Mais quand elles seront plus grandes, je préférerai­s qu’elles se couvrent… »

Cheveux mouillés, grand chapeau de paille, Colette, en bikini orangé, fulmine : « En tant que femme, convertie à l’islam, ça me fait mal au ventre de voir cela. Je pense à toutes les femmes au Maghreb qui se sont battues pour avoir plus de liberté. On croit que l’islam est une religion rétrograde pour la femme, mais c’est tout le contraire. Regardez, Khadija, la femme du Prophète! C’était une femme d’affaires, indépendan­te, et c’est elle qui l’a demandé en mariage! C’est ça, la femme, dans l’islam! Ça me désole, ce retour en arrière. Je me souviens, dans les quartiers Nord, il y a trente ans, personne n’était voilé. Les mères de ces jeunes femmes qui se baignent en burkini se baignaient en maillot… Je travaille dans les centres aérés, et je ne comprends pas pourquoi tous ces jeunes ont ce besoin de se revendique­r musulmans. » Histoire de génération ? Dans un coin de la plage, abritée sous un arbre, Widad, 25 ans, est venue avec ses soeurs et sa mère. Elle a attaché son hijab sur le bonnet de son burkini. Elle est au bord des larmes : « Quand je vois tout ce qui se dit sur internet. Ils nous disent de retourner dans notre pays, mais moi, je suis née ici, à Marseille. Moi, je m’en fiche que les gens fassent du nudisme, soient en string, en deux-pièces. Pourquoi moi j’ai pas le droit de me baigner couverte? » Les soeurs de Widad sont en maillot. L’aînée, une belle brune en bikini turquoise, explique : « C’est elle qui a voulu se voiler, on était tous contre dans la famille. Ma mère ne s’est jamais voilée, elle se baignait en maillot aussi. Mais c’est son choix, on le respecte. Il faut quoi, qu’on lui achète une combinaiso­n pour qu’elle puisse se baigner? La France, c’est pas censé être le pays de la liberté? » La semaine dernière, la famille avait loué une villa avec une piscine : là, à l’abri des regards d’hommes étrangers, Widad s’est baignée en maillot. « Et j’ai attrapé un coup de soleil. La pharmacien­ne m’a conseillé de me baigner couverte. Le burkini, c’est parfait pour le soleil. Regardez les Chinoises, elles se couvrent pour ne pas bronzer, on ne leur dit rien ! Moi, je veux juste respecter ma religion. Je suis fière d’être musulmane ! »

Salma, 21 ans, assise dans le sable, fixe la mer, dans son burkini marron, les yeux brillants de colère. Il y a quelques jours, elle se baignait à la plage du Prado. « Le maîtrenage­ur est venu nous demander, à moi et à une autre jeune femme en burkini, de sortir de l’eau. C’est pour cela qu’aujourd’hui je suis venue à Corbières. Au poste de secours, ils m’ont dit qu’ils se fichaient de ma tenue, qu’ils verraient l’année prochaine. » Sa voisine, une quadra bronzée, au bikini bleu comme ses yeux, s’énerve : « C’est dingue! Mais vous pouvez quand même vous baigner comme vous voulez, mademoisel­le! C’est une Française depuis quatre génération­s qui vous parle ! » Interdit, pas interdit ? La confusion est totale. Au Prado comme à Corbières, les maîtres-nageurs se ferment comme des huîtres : « Pas de commentair­e. » Une maman s’effraie quand on s’approche d’elle : « Je suis pas concernée : mon foulard, c’est pour le soleil ! » A l’ombre, sous un palmier, Warda, venue de Lyon, mange un sandwich. C’est son dernier jour de vacances : « J’avais failli annuler, parce que j’avais peur après Nice, mais faut continuer à vivre… C’est n’importe quoi cette polémique, que de la politique. Tout le monde oublie que Daech tue aussi des Arabes et des musulmans… Je préférerai­s qu’on nous parle des vrais problèmes, du chômage, des SDF, ou qu’on arrête les terroriste­s, plutôt que de s’occuper d’histoires de maillots sur la plage. »

En attendant de revoir les plages, Asma a posté sur sa chaîne YouTube une vidéo intitulée « Touche pas à mon burkini ». 150 000 vues. « Depuis la polémique, beaucoup de filles me demandent où j’ai acheté les miens. Je leur envoie les liens internet. » Les commentair­es ont été désactivés. Mais, dans un recoin de sa chaîne, des insultes pas encore effacées traînent : « Retourne en Arabie, espèce d’islamiste. » Ou des invectives venant même de musulmans ultrarelig­ieux trouvant que le burkini est… trop moulant : « Ma soeur ! Comment peux-tu prétendre être pudique en te baignant en mer en pleine mixité! Le burkini c haram, c comme porter un hijab et aller en discothèqu­e. »

“Avec ce qui s’est passé en Corse, j’ai peur. Ils ont dit que c’était comme un uniforme de terroriste!” ASMA FARES, blogueuse

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 ??  ?? Sur la plage de Corbières, à Marseille, les burkinis côtoient les bikinis.
Sur la plage de Corbières, à Marseille, les burkinis côtoient les bikinis.
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 ??  ?? Adepte du burkini, Salma est en colère contre les arrêtés pris pour l’interdire.
Adepte du burkini, Salma est en colère contre les arrêtés pris pour l’interdire.

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