Entretien avec Yannick Jadot, en course pour la primaire écolo
Nos dirigeants sont des “morts-vivants”, estime le député européen EELV Yannick Jadot, qui veut incarner le renouvellement et défie Cécile Duflot dans la primaire des Verts
Vous êtes candidat à la primaire d’Europe Ecologie-les Verts (EELV), qui aura lieu en octobre. Mais faut-il vraiment une candidature écolo à la présidentielle ? Les précédentes, comme celle d’Eva Joly en 2012, n’ont pas été très concluantes, et les Français placent aujourd’hui en tête de leurs préoccupations le terrorisme et le chômage, pas le réchau ement climatique… Les écologistes ont une parole particulière qu’il faut faire entendre : sur le dérèglement climatique, l’extinction des espèces, la multiplication des maladies liées aux pollutions mais aussi sur la dislocation du projet européen. Ces thèmes ont disparu ou ne sont qu’un supplément d’âme pour les autres formations politiques, sans parler des Républicains qui sont devenus un parti anti-écolo ! La plupart des candidats à l’élection présidentielle qui se profile l’ont déjà été en 2012. Le paysage politique français, c’est « Walking Dead », un film de zombies, des morts-vivants qui, quels que soient leurs échecs, se relèvent toujours pour faire croire que ce sont eux qui ont les solutions. J’ai un autre parcours : j’ai participé à des sommets altermondialistes à Seattle ou Porto Alegre, fait de la solidarité internationale au Burkina Faso, dirigé les campagnes de Greenpeace en France puis été élu au Parlement européen… Je peux incarner le besoin de renouvellement des personnes et des idées, une écologie concrète et pas abîmée par le côté trop politicien que l’opinion reproche parfois à EELV. Avec Daniel Cohn-Bendit et l’économiste Thomas Piketty, vous avez défendu une primaire de toute la gauche. Pourquoi, dès lors, être candidat à la seule primaire écolo ? La grande primaire que nous souhaitions s’est fracassée sur la division de la gauche. Et celle organisée par le PS aujourd’hui apparaît comme un processus de relégitimation de François Hollande, vis-à-vis de son camp polytraumatisé. Avec la déchéance de nationalité, à mes yeux une rupture morale e rayante, et la loi El Khomri, il a rendu cette primaire impossible! Pourtant, la pire des choses serait que la candidature écolo soit perçue comme une candidature antiHollande, une candidature de revanche. Le projet des écologistes doit être positif et redonner espoir. En présentant une candidature, les écolos ne participentils pas au morcellement de la gauche et au risque de la voir éliminée du premier tour ? Ce quinquennat est un flop et les écologistes devraient se sacrifier? Ce n’est pas de notre faute si la gauche qui détenait tous les pouvoirs en 2012 a depuis tout perdu. On ne peut pas se résoudre au programme de François Hollande : « Votez pour moi, même si je me suis planté, pour éviter le pire. » Je crois que l’écologie n’est pas condamnée à être marginale, comme le montraient les sondages sur la candidature de Nicolas Hulot : personne ne le remplacera, mais cet espace existe. A gauche, un autre homme veut incarner le renouvellement, Emmanuel Macron… Moi, il ne me gêne pas ! C’est un adversaire que j’aimerais bien avoir. Au moins, il avance à visage découvert. Il est libéral mais il l’assume, pas comme François Hollande et Manuel Valls. Il renouvelle le personnel politique même s’il défend les rentes des puissants: le Medef, l’industrie nucléaire, le diesel… Je suis pour que l’oligarchie qui nous dirige depuis trente ans prenne de longues vacances. Comme Jean-Luc Mélenchon, qui lui aussi prétend incarner l’écologie ! Depuis combien de temps il est là, lui qui fut le plus jeune sénateur socialiste de France? Il porte un discours national-étatiste d’inspiration péroniste et j’ai été sidéré de l’entendre parler de travailleurs détachés qui volent le pain des travailleurs sur place… J’ai une vraie divergence avec lui sur l’Europe : certes, elle fonctionne mal, comme la France fonctionne mal, bien sûr, elle doit être refondée pour être légitime et utile, mais c’est un espace vital de souveraineté partagée à bâtir si on veut agir e cacement sur l’environnement, les migrants, contre le terrorisme, les paradis fiscaux ou le dumping social. La seule réponse ne peut pas être le Make France great again que porte aussi Arnaud Montebourg. J’ai le sentiment qu’on va assister à une compétition de qui sera le plus souverainiste. Ce repli est une régression et une dangereuse illusion. EELV était contre la prolongation de l’Etat d’urgence et contre la loi renseignement. Que préconisez-vous pour lutter contre le terrorisme ? De l’e cacité! A court terme, il faut des moyens humains, dans une police de proximité restaurée, dans les services de renseignement. A moyen terme, il faut beaucoup plus de cohérence dans notre politique étrangère : Nicolas Sarkozy a éliminé Kadhafi mais laissé le pays à la dérive. Et on continue à avoir des amitiés et à commercer avec des pays comme l’Arabie saoudite qui exportent une vision fascisante de la religion… Il faut également un pacte républicain plus moderne : qu’on reconnaisse le passé et la diversité des personnes qui composent notre société plutôt que d’agiter l’étendard d’une République fantasmée blanche et catholique. Aujourd’hui, on demande aux musulmans d’être invisibles, de se distinguer tous les matins du terrorisme, mais on envoie tous les jours le signal qu’on ne les supporte pas et que, bientôt, même la question de leur nationalité sera posée. Si on voulait construire du communautarisme, on ne s’y prendrait pas autrement. Vous reprochez à François Hollande son bilan écolo, mais la France a quand même obtenu la signature de l’accord de Paris entre 195 pays contre le réchau ement climatique… C’est un accord des Nations unies, pas d’un seul pays, et j’ai salué le travail de la diplomatie française. Mais il faut que cela enclenche des politiques, or la France reste le pays européen le plus en retard sur les objectifs d’énergie renouvelable ! Vous êtes moins connu que Cécile Duflot, ancienne ministre qui dit se préparer depuis longtemps à la présidentielle 2017. N’est-elle pas la candidate naturelle ? C’est une très bonne candidate. La question posée aux écolos est : qui sera le meilleur porte-drapeau pour notre projet collectif, sortir de notre image politicienne, a cher du renouveau et de la sincérité, finalement réconcilier les électeurs avec l’écologie politique comme on l’a fait avec Europe Ecologie? Quand Nicolas Hulot a renoncé, des responsables associatifs écolos m’ont appelé en disant : « Vas-y, tu peux porter un discours dont les écolos seront fiers ! »
BIO EXPRESS Yannick Jadot, 49 ans, est l’un des fondateurs d’Europe Ecologie-les Verts et député européen depuis 2009. Il a travaillé dans la solidarité internationale au Burkina Faso et au Bangladesh, avant de devenir le directeur des campagnes de Greenpeace France de 2002 à septembre 2008.