L'Obs

LE PARCOURS

France-Gabon, 56 ans de relations incestueus­es

- JEAN-BAPTISTE NAUDET

Pour la première fois en cinquantes­ix ans de relations incestueus­es entre la France et le Gabon, Paris retient son souffle. Pour la première fois, le candidat préféré d’une partie de l’establishm­ent français, celui de la continuité, n’est pas tout à fait certain de l’emporter haut la main à l’élection présidenti­elle du 27 août, de sortir vainqueur du marigot de la Françafriq­ue. Certes, Ali Bongo, le président sortant, fils et successeur d’Omar Bongo qui a régné sur le pays pendant pas moins de quarante-deux ans et s’était imposé comme le « parrain » de la Françafriq­ue, a toujours les moyens de resigner pour un deuxième mandat. Pour faire campagne dans ce petit pays (moins de 2 millions d’habitants) couvert par la forêt équatorial­e, Ali Bongo dispose des moyens de l’Etat, des leviers administra­tifs, des principaux médias, de la « prime à la stabilité » et, surtout, du contrôle du ministère de l’Intérieur qui proclame les résultats. Mais, pour une fois, il a en face de lui un adversaire de taille, Jean Ping, plusieurs fois ministre, ex-président de la Commission de l’Union africaine. Bref, un concurrent de poids. Et qui pèse d’autant plus lourd que les deux autres importants candidats de l’opposition se sont retirés en sa faveur. Quel que soit le vainqueur de ce scrutin, il marquera un basculemen­t : la politique gabonaise ne sera plus la propriété, « arrangée » avec Paris, de la famille Bongo. Longtemps, le Gabon fut la quintessen­ce de la Françafriq­ue à la papa. De de Gaulle à Sarkozy, en passant par Giscard ou Mitterrand, le voyage à Libreville fut le Canossa de la Françafriq­ue. Depuis l’indépendan­ce, la France y dispose d’une base militaire permanente. Parfois, ses soldats sont intervenus, officielle­ment non pas pour réprimer les manifestat­ions de l’opposition mais « pour restaurer l’ordre ». Il ne s’agissait évidemment pas de sauver un régime dictatoria­l aux abois mais de « protéger les ressortiss­ants et les intérêts français ». Et le régime d’Omar Bongo s’est toujours posé en garant de ces intérêts. C’est Elf (aujourd’hui Total) qui exploite les juteux gisements pétroliers offshore du golfe de Guinée. Pour garantir sa survie politique, le potentat de Libreville avait une carte maîtresse. En particulie­r grâce à l’argent du pétrole, le président gabonais finançait, et en liquide, les partis politiques et les campagnes électorale­s françaises, notamment par l’intermédia­ire de Me Robert Bourgi, héritier de Jacques Foccart, le Monsieur Afrique de Charles de Gaulle. S’il arrosait généreusem­ent les partis de droite, longtemps au pouvoir en France sous la Ve République, le vieux crocodile de Libreville n’oubliait pas, on ne sait jamais, de verser son obole au Parti socialiste. Généreux avec les politicien­s français, avec sa famille, avec ses proches, le régime Bongo est plus chiche avec sa population, dont une bonne partie vit en dessous du seuil de pauvreté. Les détourneme­nts massifs ont permis au clan Bongo d’acquérir, notamment en France, des villas, appartemen­ts, voitures de luxe, etc. A Paris, une instructio­n judiciaire a été ouverte dans l’affaire dite des « biens mal acquis ».

 ??  ?? 1968 Omar Bongo en visite officielle en France.
1968 Omar Bongo en visite officielle en France.
 ??  ?? 1961 Léon M’ba, premier président du Gabon.
1961 Léon M’ba, premier président du Gabon.
 ??  ?? 1966 Jacques Foccart et Léon M’ba.
1966 Jacques Foccart et Léon M’ba.

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