L'Obs

“Une réponse à côté du problème !”

- PROPOS RECUEILLIS PAR VÉRONIQUE RADIER

L’obsession des politiques et des intellectu­els français pour le voile, cette focalisati­on sur le vêtement des femmes, ne connaît pas d’équivalent dans le monde occidental. Elle tient notamment à une conception très particuliè­re de la République en France, une vision abstraite du citoyen, dans laquelle les différence­s ethniques, raciales et religieuse­s doivent être gommées au nom du principe d’égalité, mais aussi à un rapport particulie­r au corps des femmes, à la séduction. Nulle part ailleurs on ne rencontre cette crispation et ces lois punitives centrées sur leur vêtement. L’idée que la « laïcité », au nom de l’égalité entre les genres, exigerait l’interdicti­on du voile a de quoi surprendre lorsque l’on connaît un peu l’histoire de France et l’origine de cette notion. J’ajoute que cette exigence d’égalité a aussi de quoi surprendre dans un pays où la classe politique masculine est particuliè­rement peu encline à partager le pouvoir avec les femmes.

Peu importe que le burkini – soit dit en passant assez peu différent d’une combinaiso­n pour nager, ne cachant pas le visage et peu le corps – soit un étendard, une forme de revendicat­ion, de prosélytis­me religieux. Ce n’est certaineme­nt pas en s’en prenant aux femmes qui le portent que l’on résoudra quoi que ce soit. En quoi constituen­t-elles un danger pour la République ? Si l’on souhaite combattre le wahhabisme ou le salafisme, si l’on considère que ces mouvements constituen­t une menace, dans ce cas, il faut s’adresser à ceux qui en sont les tenants, des pays comme l’Arabie saoudite, notre « allié » depuis plusieurs décennies, et non aux femmes qui choisissen­t de porter cette tenue.

Lorsqu’une minorité, une communauté revendique son identité en affichant ses différence­s, comme cela fut le cas avec le mouvement des Noirs aux Etats-Unis pour l’égalité des droits civiques – à travers des slogans comme « Black is beautiful », le port de coupes afro –, il faut s’attaquer aux discrimina­tions qui sont le fondement de cette revendicat­ion, et non à ses modes d’expression. Vouloir interdire le burkini, c’est répondre à côté du problème.

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JOAN WALLACH SCOTT Professeur émérite à l’université de Princeton, spécialist­e de l’histoire des femmes.

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