L'Obs

LE CHÈQUE EN BLANC

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Dès le 6 juillet 1914, l’Allemagne avait apporté son soutien inconditio­nnel à une action autrichien­ne contre la Serbie, la jugeant entièremen­t justifiée : ou la Serbie cédait, ou elle serait châtiée. La position du principal allié de l’Allemagne dans les Balkans serait de ce fait renforcée. De plus, elle ne pensait pas que la Russie interviend­rait. Le tsar n’allait certaineme­nt pas soutenir les assassins d’un roi. Par ailleurs, on croyait que la Russie n’était pas prête à la guerre. Les autres puissances regarderai­ent et accepterai­ent le fait accompli. La suite allait bientôt montrer combien les calculs politiques allemands étaient hasardeux. Qu’il pût s’agir d’une grave erreur de calcul, et que celle-ci comportât de grands risques, apparut au moment où fut donné le « chèque en blanc ». Le chancelier Bethmann-Hollweg lui-même reconnut qu’une « action contre la Serbie pouvait déboucher sur une guerre mondiale » qui mettrait « sens dessus dessous tout ce qui existe ».

Que Vienne traîne les pieds, et les espoirs allemands d’une issue rapide à une crise localisée seraient d’emblée anéantis.

Le texte d’un ultimatum particuliè­rement dur envers la Serbie ne fut définitive­ment arrêté que le 19 juillet, et il fallut encore quatre jours avant qu’il ne soit présenté. Trois semaines et demie s’étaient écoulées depuis l’attentat de Sarajevo. Quant aux Serbes, ils avaient quarantehu­it heures pour répondre. Etonnammen­t, craignant le pire d’une attaque autrichien­ne, les Serbes avaient tout d’abord pensé céder à ces exigences. Mais c’était avant que les Russes, avertis des conditions draconienn­es de l’ultimatum, n’aient durci la déterminat­ion serbe. Entre le 20 et le 23 juillet, Poincaré et le président du Conseil Viviani, en visite o cielle à Saint-Pétersbour­g, avaient encouragé les dirigeants russes à adopter une ligne dure avec l’Autriche et à soutenir la Serbie, quelles qu’en soient les conséquenc­es. Le président français, témoin dans son enfance de l’annexion de sa Lorraine natale, avait lui aussi une dent contre l’Allemagne. En 1912, il avait approuvé l’idée d’une interventi­on russe dans les Balkans, sachant qu’elle pouvait entraîner un conflit avec l’Allemagne. A cette époque comme en 1914, il était dans l’intérêt des Français d’a aiblir la position de l’Allemagne en Europe par un a rontement militaire avec la Russie. Cette année-là, cependant, la Russie avait choisi de se tenir à l’écart du conflit des Balkans. Cette fois-ci, à Saint-Pétersbour­g, les décideurs estimèrent que ce serait une erreur de temporiser. Soutenir la Serbie ne pouvait que profiter aux objectifs stratégiqu­es de la Russie. Si cela entraînait la guerre, l’Allemagne devrait combattre sur deux fronts : pour les belliciste­s russes, c’était une guerre que le pays gagnerait. Les options s’amenuisaie­nt donc rapidement. Sitôt remis l’ultimatum autrichien, les événements s’accélérère­nt. Une guerre générale devint plus que probable, même s’il aurait été encore possible de l’arrêter. En revanche, la volonté de l’empêcher n’existait plus.

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