L’asile suédois
BECKOMBERGA, ODE À MA FAMILLE, PAR SARA STRIDSBERG, TRADUIT DU SUÉDOIS PAR JEAN-BAPTISTE COURSAUD, GALLIMARD, 380 P., 21 EUROS.
Depuis son premier roman consacré à la féministe américaine Valerie Jean Solanas, qui avait tenté d’assassiner Andy Warhol, la jeune romancière suédoise Sara Stridsberg n’a cessé de gravir les échelons du talent. Alors que le jury Nobel vient de l’adouber dans son cénacle, elle publie un livre très impressionnant sur Beckomberga, un asile d’aliénés, à l’ouest de Stockholm, l’un des plus grands d’Europe, construit durant l’été 1929 sous la direction de l’architecte Carl Westman.
Curieusement, la Suède se lance, entre les deux guerres, dans un programme ambitieux de construction d’hôpitaux psychiatriques, sur le modèle de Beckomberga. L’établissement ouvre ses portes au début des années 1930, multipliant la capacité d’accueil existante. Sara Stridsberg cite des chi res qui confirment l’essor de la psychiatrie en Suède : en 1900, 4600 personnes sont admises dans les asiles. Cinquante ans plus tard, 33 000 sont internées. Beckomberga, dit-elle, est une caserne plutôt qu’un hôpital : « Je songe que ces édifices gigantesques ont dû, avant que les arbres et les buissons ne poussent, paraître écrasants pour les patients et les visiteurs. »
S’il comporte une dimension documentaire (on croise l’ancien Premier ministre Olof Palme qui vient rendre visite à sa mère), le roman de Sara Stridsberg est surtout consacré à Jim, pensionnaire attachant et suicidaire du pavillon « Grands Mentaux Hommes », et à sa fille Jackie, la narratrice, qui se souvient de son enfance avec ses parents, Jim et Lone, qu’elle croyait pouvoir sauver. Jim est né en 1945. Sa fille, maintenant mère à son tour, essaie de comprendre, sans jamais complètement y parvenir, pourquoi le désir de mort a envahi le corps de son père, dévastant tout sur son passage. « Je ne serai jamais joyeux », explique Jim à « sa petite toquée adorée ». « Mais je vais très bien malgré tout, merci. » C’est d’ailleurs ce que semble penser le médecin chef de l’hôpital, Edvard, qui l’emmène faire la bringue en ville. Alcool, cigarettes, médicaments : Jim carbure à toutes les substances jusqu’au crash final – jusqu’aux derniers mots fervents et somptueux de cette épopée lunaire, incroyablement sensuelle et poétique.