L'Obs

Heureux comme un gay en Lozère

RESTER VERTICAL, PAR ALAIN GUIRAUDIE. COMÉDIE DRAMATIQUE FRANÇAISE, AVEC DAMIEN BONNARD, INDIA HAIR, RAPHAËL THIÉRY, CHRISTIAN BOUILLETTE (1H40).

- PASCAL MÉRIGEAU

Sur un causse de Lozère placé sous la menace du loup, le sombre Léo (Damien Bonnard), scénariste à l’évidence en panne d’inspiratio­n, rencontre Marie la blonde bergère (India Hair), qui vit avec son père, l’ombrageux Jean-Louis, et ses deux enfants. Léo et Marie trouvent à s’accorder. Un enfant naît, mais Marie, probableme­nt en dépression postnatale, s’éclipse avec ses deux petits, laissant le nouveau-né à la garde de Léo et du grand-père. Lequel fait savoir à Léo qu’il n’est pas insensible à son charme. Nous y sommes : chez Alain Guiraudie, la charge érotique des hommes d’âge mûr, paysans ou prolos, décide du cours du film. Tel était le cas notamment pour « le Roi de l’évasion » et « l’Inconnu du lac ». Mais les jeunes hommes ne manquent pas d’attrait, eux non plus, d’ailleurs Léo en a dragué un déjà, un certain Yoan, auquel il a demandé sans succès s’il voulait faire du cinéma. Yoan vit chez le chenu Marcel (Christian Bouillette), qui n’ouvre guère la bouche que pour évoquer Pink Floyd et dire sa détestatio­n des « pédés », Yoan en tête de liste. Heureuseme­nt pour Léo, son bébé est du genre placide, et il peut s’en occuper fort distraitem­ent. Parce que c’est fou tous les hommes attirés par les hommes qu’on rencontre sur les chemins de la Lozère, pourtant le départemen­t le moins peuplé du pays : Marcel lui-même, toute horreur des « pédés » ravalée, se laissera convaincre des vertus de la sodomie. Cette découverte pour lui tournera à l’épectase, qui inspirera à la presse locale une manchette dévastatri­ce. Voilà qui o re au moins d’aller droit au but, sans interdire à Léo d’emprunter des chemins de traverse, qui le conduisent, entre autres, à Brest et dans le Marais poitevin, où il se fait ausculter au moyen d’électrodes végétales par une fée qui maîtrise la magie en experte et n’ignore rien de la psychanaly­se. On l’aura compris, Alain Guiraudie balade le spectateur au gré de sa fantaisie, sans trop s’inquiéter de savoir s’il sera suivi : il fait ce qui lui chante, comme il l’entend et pas autrement. La posture est orgueilleu­se, et en cela digne d’éloge ; elle est aussi risquée. Cette forme de radicalité risque de laisser devant la porte certains des spectateur­s de ses deux films précédents. Mais, à cette réserve près, qui aura le front de lui reprocher d’appliquer au métier de cinéaste le conseil donné aux bergers à l’heure d’a ronter le loup ? Demeurer debout, surtout, rester vertical.

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Damien Bonnard incarne Léo, un jeune scénariste qui découvre la paternité.

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